
De nos jours très peu d’hommes politiques laissent leurs empreintes pour la postérité. Ils soignent leur image. Ils conquièrent plus qu’ils ne construisent. Ils travaillent dans l’urgence pour l’urgent et sacrifient l’essentiel. Or l‘essentiel, voilà la vraie urgence… éludée, hélas par les adeptes du résultat « joni joni » ! Quitte à être impopulaire, quel dirigeant ou leader osent aujourd’hui s’investir à dire aux opinions des vérités dérangeantes ?
Nous ne sommes pas dans la fiction mais plutôt dans la réalité avec d’étonnantes scènes de vie à facettes multiples. A cet égard, l’échiquier politique de l’Afrique de l’ouest offre un saisissant tableau de paradoxes. Le Mali, immense territoire inoccupé aux deux-tiers, constitue davantage une zone de contradictions que d’unité. Dans ce pays, les alliances de la veille se transforment vite en ruptures heurtées le lendemain.
Son opposant le plus célèbre, Soumaïla Cissé, vient de retrouver la liberté après plus de six mois de captivité. Homme politique d’envergure, actif et proactif, il ne cesse de se projeter dans l’avenir. Détenu en otage et privé de mouvement, on le devine, il devrait sûrement vivre un calvaire. De partout en Afrique et dans le monde parvenaient des témoignages de sympathie en sa faveur. La désapprobation internationale a certainement exercé une forte pression sur ses geôliers qui ont fini par s’apercevoir qu’ils avaient entre leurs mains une « patate chaude ».
A quel prix sa libération a-t-elle été obtenue ? Personne ne sait. Pour le moment. Peut-être Paris… Il retrouve un pays métamorphosé : un Mouvement du 5 Juin qui a gagné en puissance au point de renverser le régime de IBK, une junte militaire qui s’est engouffrée dans la brèche ouverte par les hésitations de l’imam Dicko (au message clair-obscur) et une classe politique au bord du discrédit. Sa longue détention l’avantage-t-il maintenant aux yeux des Maliens en quête de leader incontesté ?
En revanche, l’empressement du dirigeant malien à raconter aux médias français dans le menu détail sa détention et les circonstances de son arrestation, déçoit plus d’un. Pourquoi se confier en priorité à la presse étrangère ? Les médias maliens ne comptent-ils pas autant à ses yeux ? Certes, il sort d’un long purgatoire. Certes, il était l’otage de jeunes djihadistes compris entre 17 et 19 ans qui, visiblement « obéissaient à des ordres et des contre-ordres venus d’ailleurs dans un indescriptible désordre. » Mais, et alors !
Cela justifie-t-il cette présence ostentatoire sur les écrans français et européens ? Pourra-t-il s’apercevoir de son erreur de jugement et d’approche ? Qui veut faire l’ange fait la bête. Kidnappé sur ses terres natales, Soumaïla Cissé sait qu’il disposait ainsi d’un temps précieux, en tout cas sérieux pour mener une réflexion approfondie sur les facéties de la vie politique africaine. Toutefois, un triste mélange d’impuissance et d’incompétence communicationnelle a quelque peu ruiné les sympathies qu’il engrangeait.
A vrai dire le pot de miel de la France-Afrique aiguise encore des appétits. Autrement dit, le cordon n’est pas coupé. Soumaïla Cissé n’est pas seul dans cette empathie émotionnelle envers les médias occidentaux au détriment de la presse africaine. L’opposant guinéen Cellou Dalein Diallo, a lui aussi à cet égard un agenda rempli. Sa campagne électorale est entrecoupée de rendez-vous avec des reporters et autres envoyés spéciaux français à qui il se confie le plus amplement, privant les confrères guinéens d’éléments factuels pour bâtir leurs récits.
Refroidis par ces choix médiatiques discutables, les Africains doutent de la sincérité de l’engagement de leurs dirigeants respectifs. Lesquels aiment mieux être vus en compagnie de ces « journalistes blancs » ! Les rencontres au sommet des chefs d’Etat constituent pour cette race de journalistes venus d’ailleurs un véritable théâtre d’ombre. Ils montent et descendent des véhicules officiels en même temps que les présidents et autres chefs de gouvernements. Ils sont hélés et interpellés par les mêmes présidents lors des agapes, des cocktails dinatoires ou des réceptions d’ambassades. Ils murmurent à leurs oreilles de « petites confidences » relatives aux séances à huis clos quand le gros de la troupe des journalistes fait le pied de grue ou s’adonne aux pas perdus dans d’interminables couloirs.
En vérité, ces « confrères » ne le sont que de noms puisque tout leur est offert sur les plateaux d’argent par des agents dévoués et dédiés à ces tâches (avec le sourire en coin). Ils pénètrent l’intimité des chefs d’Etat africains et sont « à tu et à toi » avec eux quand le reste des délégations ou des entourages est tenu à distance réglementaire, en quarantaine ou à carreaux ! Ils ressortent des suites présidentielles nantis d’informations « exclusives » ou « orientées ».
De plus en plus, le phénomène prend de l’ampleur : les politiques publiques africaines sont annoncées et décortiquées sur les chaînes (radios et télévisions) étrangères. Si cela ne suffit pas, les chefs d’Etat eux-mêmes montent au créneau et, face à des journalistes rompus à la manœuvre, expliquent avec une pédagogie tatillonne, les ressorts de leur gouvernance. Combien de fois, le Guinéen Alpha Condé a entretenu le suspens sur le troisième mandat avec la bienveillante complicité de ces chaines françaises, publiques de surcroît ?
A côté, la radio et la télévision d’Etat, déjà dans de piteux états, font pâle figure, se contentant de reprendre le signal ou d’ânonner les saintes paroles du Président. Idris Déby du Tchad, Sassou Nguésso du Congo,, Aly Bongo du Gabon, Patrice Talon du Bénin, Faure du Togo, Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, excellent tous dans cet art consommé de parader sous les flonflons des projecteurs de ces médias. Macky Sall du Sénégal, Ould Ghazouani de Mauritanie et Issoufi du Niger ne sont pas en reste. Ils y ont tous de fréquents rendez-vous convenus d’avance et mobilisant d’importants moyens financiers destinés aux frais de location de satellites, de lignes spéciales, de transmission et de couverture sans compter les vrais-faux frais empochés. Il n’y en a que pour eux !
Les médias européens inondent l’espace africain. Ils ne répondent pas à l’exigence de connaître les réalités africaines. Portés néanmoins par un nouvel élan, ils affichent une appétence que suggèrent les nouvelles ressources découvertes : les hydrocarbures, les métaux précieux, les terres arables, les eaux souterraines, les richesses halieutiques, la biodiversité et les microclimats d’un continent homogène, peu pollué mais dont la vitalité démographique et la position géostratégique suscitent des convoitises et inspirent des projections. Près de trente ans après les premières conférences nationales qui ont donné naissance à la pluralité des candidatures puis aux alternances, les Africains se montrent plus exigeants dans le choix des politiques et des dirigeants. Ils ne veulent plus d’élites (politiques, sociales et économiques) coupées des masses et enfermées dans des certitudes. Qu’elles rectifient la trajectoire, et le visage du continent s’en trouve favorablement modifié. En un mot un cap clair doit se dessiner.
Mamadou NDIAYE