
Dakar, le temps d’un petit vent frisquet, se transforme en un champ clos d’affrontements. Gaz lacrymogène contre caillassage sur les grandes artères de la capitale. Des voitures incendiées, des maisons endommagées, des commerces dégradés. Piétons et automobilistes prennent d’assaut les rues adjacentes pour échapper à une furie grandissante.
En écho, à Louga (et dans d’autres villes de l’intérieur), une villa réduite en cendres par-ci, des biens publics (ou privés) arrachés par-là. Partout la désolation. L’irritation et très sûrement l’indignation.
En réponse à l’appel de l’opposant Ousmane Sonko, des militants et des sympathisants rallient bruyamment sa maison et servent de « boucliers humains » comme pour empêcher son arrestation. Une affaire civile, parce que privée, se transforme en enjeu politique et c’est le grabuge orchestré par des visages anonymes.
L’étrangeté de la démarche fige les riverains dans l’aplomb. Un désamour se fraye un chemin et débouche sur une surprenante radicalité. Ceux qui occupent la rue crient à tue-tête, les nerfs en saillie. Ils prônent un militantisme de rupture. Soudain, des bourrasques de violence. A vue d’œil pas d’angélisme, encore moins une romance politique. Mais des visages fugaces qui conjuguent des volontés, confusément. Défense d’une cause ? Laquelle ? L’adage dit : « Qui fut élève studieux devient pédagogue scrupuleux. »
En revanche, une galerie de personnes, pas animées des mêmes intentions, louables, prennent en otage les maisonnées et galopent dans les rues adjacentes en scandant des cris de ralliement inaudibles. Chacun verra dans ces évènements et leur enchainement ce qu’il voudra y trouver. A rebours des traditions de manifestations et de protestations, les opérations d’hier s’apparentent à des actions directes et correspondent à une évolution de la lutte politique vers une violence assumée. Elle a décidé de « désobéir » pour faire face aux forces de l’ordre, dépositaires justement de la force légale. S’agit-il d’un nouveau courant qui déborde le leader de Pastef sur ses propres flancs ? Représente-t-il une aile radicale pressée d’en découdre avec le pouvoir en s’emparant d’une cause mal négociée ?
Les évènements d’hier caractérisent un tournant politique significatif d’un état d’esprit insuffisamment exploré. Ces voitures calcinées plongent leurs propriétaires dans le désarroi en ces temps de rareté. Ce policier qui trébuche et tombe, n’a eu la vie sauve qu’à la prompte réaction d’un civil qui accourt pour le protéger. La scène, filmée, fait le tour de la Toile qui s’enflamme. Un basculement est en cours. Il met en jeu des acteurs d’un tout autre cran déterminés à agir pour peser et imposer un rapport de force. A quelle fin ?
Personne ne sait, d’autant que les auteurs avancent masqués en pleine pandémie du coronavirus. Ce contexte, à lui seul, pouvait servir de prétexte pour renoncer à l’épreuve de force à quelques heures d’un couvre-feu encore en vigueur. Entre Sonko et le pouvoir, c’est l’histoire d’un désamour au long parcours. Si lui saisit toute opportunité pour flétrir la gouvernance en place, le régime et ses démembrements ne ratent aucune occasion de confondre l’ancien inspecteur des impôts devenu farouche opposant à Macky Sall. Sonko ne fait pas la fine bouche. Qu’il l’inspire ou l’aspire, Sonko tire avantage de la Quadrature du Net. Ces collectifs de citoyens, présents dans les réseaux sociaux, amplifient le discours du jeune leader et lui servent de plateforme d’alerte de ce qu’ils nomment « dérives touchant aux libertés ».
Il est homme politique de son époque et s’attire des sympathies virales via un monde virtuel dans lequel il faut savoir naviguer pour récolter des faveurs et pourquoi pas demain des suffrages ? La nouveauté tient aux dérives violentes qui surgissent pour prolonger par d’autres moyens le débat contradictoire ? Gardons cependant de remplir la corbeille d’absurdités. Une affaire civile n’est pas une donnée politique même si, par accident, son incidence voire son lien peut couler de source. En déjouant l’amalgame, il ne faudrait pas pour autant retomber dans des travers alarmistes.
Certes, souvent Sonko se retrouve à son corps défendant au cœur d’affaires l’impliquant : la récente levée des fonds dans la diaspora, le litige foncier à coups de milliards et cette délicatesse relative à un « lifting corporel » dans un salon dédié qui lui vaut une plainte déposée par une jeune dame à la pudeur douteuse. La vacuité de ses propos frise une cabale sans nom avec la finesse en moins. Qu’une victime s’offre la possibilité de dénoncer une infraction par des moyens appropriés, quoi de plus normal ! Qu’un honorable citoyen, indexé et certainement prévenu, s’arme de droit et de moyens de défense pour se disculper, quoi de plus normal également !
Dans ce cas de figure où les deux protagonistes montrent des dispositions à s’adresser à la justice ou à ses auxiliaires, les tensions devraient logiquement retomber. La patience et l’apaisement donnent droit au droit d’être adroit en maints endroits. Le peuple, au nom de qui, dit-on, la justice est rendue, mérite meilleur égard que de l’attarder sur des considérations de petites mains. Les hommes politiques doivent s’affranchir des entourages privatifs de libertés et d’initiatives pour laisser éclore leur caractère et leur personnalité intrinsèque. Pourquoi continuent-ils à s’écharper sur des évènements qui échappent difficilement aux prismes idéologiques.
D’une élection à une autre, il y a la vérité de la vie qui s’écoule au quotidien. Lequel, marqué au fer, donnent du fil à retordre aux populations exposées à de multiples avatars. L’œil constamment rivé sur la prochaine élection ôte toute lucidité à quiconque se saisit des circonstances pour donner de l’épaisseur à son action. Les aspérités de ce même quotidien si dur devraient inciter la classe politique sénégalaise à se soustraire aux contingences politiciennes pour être dans le temps de l’intuition politique, de la hauteur et de la grandeur.
Figure tutélaire de l’université, Cheikh Anta Diop, mort il y a plus de trente ans, est plus actuel que jamais. Son œuvre, immense, lui a survécu et étonne par l’actualité des problématiques soulevées, la justesse de ses vues d’alors qui contrastent, hélas, avec notre époque « savante », arrogante, méprisante incarnée par des hommes doctes, dépourvus de vision, et très peu outillés pour nous éloigner de choix insensés et nous épargner des lendemains cauchemardesques. Le Pharaon, quelle puissance de réflexion ! Quelle énergie ! Quel don de soi ! Mais quelle passion pour l’Afrique ! Certains cercles intellectuels pâlissent de cette vive intelligence et s’émerveillent du renouveau de la pensée profonde du natif de Thiaytou, boussole d’un monde embrouillé, sans repère, qui plébiscite l’apparat jouissif au détriment de l’effort de progrès fondé sur le savoir, donc la science pour se projeter dans le futurs…
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