
Les Sénégalais jubilent ! Ils savourent la liberté. Fini le confinement ? Fin de l’état de catastrophe sanitaire ? L’ambiguïté du concept, ajoutée à la confusion qui prévaut, n’aide pas à mieux appréhender une situation jalonnée de pièges. Certes la liberté n’a pas de prix. Certes, le soulagement reste palpable au regard des élans de joie qu’expriment nos compatriotes. Et la santé alors ? Elle a un coût. Et son prix ne s’apprécie qu’après l’avoir perdue ! A-t-on néanmoins conscience du danger qui guette ? La vie est sacrée. Le bien-être est consacré.
En desserrant l’étau, les pouvoirs publics actionnent deux leviers d’égale importance : vacciner plus de monde autant que faire se peut et redonner du moral aux populations rudement éprouvées par une série ininterrompue de contraintes. Ces efforts ont vocation à rassurer ou, à tout le moins, à dissiper les malentendus nés d’une polémique inattendue sur les effets secondaires d’un des vaccins inoculés. Humer l’air libre, se déplacer, voyager, sortir constituent, entre autres, des modes d’action si chers à l’être humain. Les restrictions, dictées par la réalité de la menace, avaient valeur de préservation de l’espèce dès lors qu’aucun autre moyen de prophylaxie à efficacité prouvée n’existait encore.
Nous revenons de loin. Nous devons, néanmoins aller encore plus loin sans baisser la garde. Pour vaincre la maladie, devenue pandémie, il faut se montrer à la hauteur du défi et de ses exigences. Chacun de nous est responsable de ses faits et gestes. Pas besoin donc de gloser indéfiniment. La tenue et le retenue, de même que la discipline individuelle et collective conditionnent notre survie face ce virus décidément insaisissable.
Le Covid-19 change et se mue, disent les spécialistes. Pire, d’un sujet à un autre, il varie même si sa virulence s’atténue, d’où son appellation énigmatique de variant. En un an, notre pays a enregistré plus de mille morts ! Souvenons-nous du premier Sénégalais à avoir rendu l’âme du fait du coronavirus. L’émotion était grande. L’anxiété se lisait sur les visages. Tout le monde allait à la quête de l’information pour se déterminer en conséquence.
Dans l’esprit des Sénégalais, le coronavirus n’était pas que contagieux. Il s’avérait mortel. Les débuts étaient si prometteurs que notre pays était cité en référence pour l’exemplarité de sa stratégie de lutte contre ce « mal du siècle » venu de Chine. Le pays faisait corps avec son staff médical dont le prestige rayonnait au-delà de nos frontières. Ce rappel ressemble à de l’histoire ancienne. Et pourtant… Le nouveau cycle qui s’amorce nous laisse ainsi face à nous-mêmes. En plus des efforts à consentir, il y a des pratiques à bannir, une conduite à tenir, une page à tourner et un comportement à adopter désormais.
Que certains s’adonnent à une légèreté coupable quand d’autres s’échinent à respecter les règles édictées, voilà des signes évidents d’une société qui s’affaiblit. L’absence de cohésion nous expose tous. Les rassemblements demeurent le facteur aggravant. Avec les relâchements qui s’observent à vue d’œil, rien ne nous protège d’un rebondissement éventuel qui serait plus fatal. Les vagues se suivent mais ne se ressemblent pas. Or à ce propos, l’introspection s’impose à nous.
La liberté dont nous jouissons aujourd’hui a été conquise de haute lutte par les générations précédentes. Elles ont mené le combat victorieux mais elles n’en récoltent pas les fruits. Ceux qui en usent avec désinvolture en abusent presque oubliant qu’à leur tour ils doivent transmettre le relais. Courage en écharpe, il nous revient de prendre des risques (à notre tour) pour défendre nos valeurs communes. Avec sang-froid. L’horizon n’est guère reluisant.
L’état improductif du pays nous interpelle. Le laborieux secteur des PME s’affaisse, elles qui étaient le réceptacle de la sous-traitance et le vivier de l’externalisation de certaines de valeurs. L’industrie, déjà vétuste, ne tourne plus à plein régime. Il en est de même de l’import-export de produits finis ou semi-finis. Les stocks s’épuisent. La récession s’enfonce et le gel des investissements consécutifs à une série de facteurs prive le pays de moyens de se relancer une fois le covid-19 vaincu ou nettement jugulé.
Qui plus est, les récents signaux envoyés (émeutes, destructions de biens, furie meurtrière, violences inouïes, ordres, contre-ordres et désordres) ont contribué à dégrader l’image du Sénégal. Il donne de lui une vision hantée par des troubles répétitifs aggravés par des indélicatesses de commentateurs des médias occidentaux en mal d’audience. Ils s’entêtent à voir dans les tragiques évènements vécus des relents identitaires pour davantage ensevelir ses singulières avancées démocratiques. Les mêmes ne supportent pas l’exception sénégalaise affectant d’y voir un « accident » de l’histoire qui bégaie.
Feu sur la terranga, la paix sociale, la stabilité, l’amabilité, la plaisanterie, le cousinage, le dialogue, le sourire, la grâce et la providence avec ces impressionnants gisements d’hydrocarbures au large des côtes poissonneuses ! Ces hostilités commencent à se propager. Elles se déclinent en plusieurs versions, convergeant vers des valeurs d’essence universelle ânonnées chez nous par des supplétifs en quête de gloire furtive. Ils ne sont que des suppôts très peu portés à soutenir des causes justes mais prompts, sans discernement, à s’offusquer des projets qu’ils jugent « liberticides ». Il y a loin de l’intention aux actes.
Depuis peu, les feux de l’actualité scintillent sur le Sénégal, à son corps défendant. Au lendemain des débordantes manifestations, il convient de déchiffrer, si ce n’est de décoder ces déchaînements de violence et peut-être même de haine dissimulées derrière des raccourcis de frustrations. Notre commune volonté de vivre en commun est-elle à ce point atteinte, outragée ou en péril ? A lui seul, ce sujet mérite une convergence de vues pour poser des actes transcendant les égos et les égoïsmes. Aucune posture autre que la défense et l’illustration des valeurs de cohésion de la nation sénégalaise ne sied en ces moments de graves préoccupations.
La vie est dure. Qui ne l’admet pas est hors sol. Mais ce n’est guère suffisant. Il importe de réduire les écarts de perception en « démocratisant » les sacrifices qui sont aux sources des incompréhensions et des malentendus qui prolifèrent. « Rester fidèle au pays et à l’Afrique », tel est le message à la jeunesse de Amadou Mahtar MBow à la cérémonie, le 20 mars de son centenaire. Ce « Sénégalais universel » nous interpelle : il faut renouer avec l’effort.
emedia