
Le Sénégal exprime ses réserves sur la teneur juridique de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO demandant la suppression du parrainage. Et, c’est l’ancien ministre de la Justice Ismaila Madior qui va au front pour démonter cette décision qui, selon lui, n’est pas conforme au protocole de la CEDEAO. Prenant part à la conférence de presse organisée par la Coalition Benno Bokk Yakkar, Ismaila Madior Fall n’est pas allé par quatre chemins pour mettre à nu les griefs de la Cour de justice de la CEDEAO.
D’emblée, le constitutionnaliste rappelle que dans tout ordre juridique communautaire, les Etats reconnaissent à la Cour un certain nombre de compétences mais, celles-ci ne peuvent pas remettre en cause l’autonomie politique et constitutionnelle des Etats. « Cela veut dire que les Etats, même membres de la communauté, disposent de la faculté, de la prérogative pour déterminer leur propre organisation et politique et qu’une cour, fit-elle une cour supranationale, ne peut pas remettre en cause le principe de l’autonomie constitutionnelle », plaide-t-il.
« La Cour viole le principe de l’autonomie politique et constitutionnelle »
Ismaila Madior Fall estime que « les questions constitutionnelles font partie du noyau dur de la souveraineté sur lesquelles l’Etat a la latitude constitutionnelle de se doter des lois qu’il veut. Ici, la Cour viole le principe de l’autonomie politique et constitutionnelle. Parce que la loi sur le parrainage, c’est deux aspects. C’était un aspect constitutionnel et un aspect législatif. Le parrainage existe dans la constitution du Sénégal depuis 1963 ». Il ajoute : « La Cour de la CEDEAO s’est considérée comme juridiction constitutionnelle parce qu’elle a jugé la révision constitutionnelle d’un pays. Elle a jugé une loi. Et la Cour de la CEDEAO elle-même à l’habitude de dire dans sa jurisprudence constante qu’elle ne saurait être une juridiction constitutionnelle. Et ici en appréciant la loi sur le parrainage, la Cour de la CEDEAO s’est érigée, contrairement à sa jurisprudence classique, en juridiction constitutionnelle. Elle s’est également érigée en juridiction de Cassation et la Cour n’a pas vocation à briser, casser, remettre en cause les décisions qui sont rendues par les juridictions nationales. Aucun texte ne lui permet de briser, de casser une décision. On considère que la cour de la CEDEAO a joué le rôle de Cassation. »
« La Cour de la CEDEAO a outrepassé ses compétences »
Toujours en désaccord avec la décision qui a été rendue, Ismaila Madior Fall estime que la Cour de la CEDEAO, contrairement à sa jurisprudence, a concurrencé les juridictions nationales dans l’interprétation des textes nationaux. Or, signale-t-il, la Cour de Justice de la CEDEAO est juridiction communautaire. Ses instruments juridiques de référence, ce sont les textes internationaux. Ce sont les traités sur les droits civiques et politiques, c’est la charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
« La Cour n’a pas vocation à s’immiscer dans l’organisation juridique interne pour s’adonner à l’interprétation des textes tout simplement parce que parce que l’interprétation des textes nationaux est le fait des juridictions nationales. Donc, en concurrençant les juridictions nationales sur l’interprétation des textes nationaux, la Cour de la CEDEAO a outrepassé ses compétences. La Cour rentre dans les détails, un travail qui a été déjà fait par le Conseil constitutionnel. La Cour fait un travail qu’aucune cour communautaire n’aurait fait. On ne peut pas imaginer la Cour de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme remettre en cause le parrainage tel qu’il existe en France ou remettre en cause le parrainage tel qu’il existe au Portugal », a déclaré M. Fall. Qui est revenu sur le délai qui a été donné à l’Etat du Sénégal pour respecter la décision.
« Sur 200 arrêts rendus, le taux d’exécution n’avoisine même pas 50% »
D’après lui, tous ceux qui connaissent les principes juridiques élémentaires savent que le juge rend des décisions mais le juge n’adresse pas des injonctions à l’administration. Ici, fait-il savoir, la Cour de la CEDEAO, en impartissant au Sénégal un délai de 6 mois pour lever ce qu’il appelle des restrictions de la loi sur le parrainage, donne des injonctions à l’Etat du Sénégal. Ce n’est prévu par aucun texte, jure-t-il.
« Il ne s’agit pas de stigmatiser la Cour parce que le Sénégal est toujours à l’aise avec les décisions qui sont rendues par la cour de la CEDEAO mais il s’agit d’exprimer des réserves sur cet arrêt qui pose problème. Et il faut le dire, les arrêts de la CEDEAO, de façon tendancielle, pose problème. Le taux d’exécution des arrêts de la CEDEAO est excessivement faible. Sur les 200 arrêts qui ont été rendus, le taux d’exécution n’avoisine même pas 50%. Cela veut dire qu’il y a une résistance, une révulsion des états qui considèrent que les arrêts de la CEDEAO posent de plus en plus problème », regrette-t-il.
Il renchérit : « Aujourd’hui, il y a des Etats qui quittent la Cour de justice de la CEDEAO, d’autres Etats ne la quittent pas mais, ignorent les arrêts de la cour de CEDEAO. Le Sénégal ne voudrait ni quitter la Cour de la CEDEAO ni ignorer ses arrêts parce que le Sénégal est respectueux mais le Sénégal tient à exprimer ses réserves sur la teneur juridique de cet arrêt qu’on peut considérer comme étant pas conforme au protocole de la CEDEAO. On peut considérer avec cet arrêt que la Cour de Justice de la CEDEAO remet en cause le principe du parrainage qui est arrêté dans la constitution du Sénégal. C’est impossible ».
À en croire Ismaila Madior Fall, la Cour de justice ne peut pas remettre en cause une révision de la Constitution. Par ailleurs, il a fait savoir que le Sénégal peut introduire un recours en interprétation de l’arrêt pour demander à la cour quel le sens de l’arrêt qu’elle a rendu.
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