Le 28 mai ou l’épreuve de vérité démocratique (Par Madiambal DIAGNE)

Nombreux sont ceux qui m’ont interrogé sur ma position quant au Dialogue national, convoqué par le Président de la République pour le 28 mai 2025. Ma réponse, nette et sans détour, en a surpris plus d’un. En effet, j’estime que toute la classe politique et la Société civile doivent y prendre part, même en se bouchant le nez. Certes, ma posture peut apparaître facile car je n’ai jamais été invité, à quelque titre que ce soit, à une séance de Dialogue national dans le passé. Aussi, j’avoue que je serais le plus étonné de recevoir, à la dernière minute, un carton d’invitation de la part des organisateurs de ce raout. Mais en tout état de cause, mon agenda pour cette date ne me permettra pas de suivre les discussions, encore moins d’y participer. Et je forme le vœu que personne, fût-il le plus sot et le plus malveillant, n’aille s’imaginer que je pourrais me laisser gagner par un quelconque esprit de compromission.
Les paradoxes du refus
Plusieurs responsables de l’opposition ont déjà exprimé leur refus de répondre à l’invitation du Président Bassirou Diomaye Faye. Certains semblent prisonniers d’une logique figée : celle de réfuter à tout locataire du palais présidentiel toute plage de discussions ou d’échanges. Cette posture, qui peut se révéler grégaire, mimétique pour ne pas dire enfantine, ne saurait être celle de tout le monde. Le camp de l’ancien Président Macky Sall, particulièrement, est disqualifié de formuler la moindre objection pour ne pas répondre au Dialogue, qu’il avait lui-même prôné en s‘inscrivant dans la suite de ses prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Qui plus est, la date du 28 mai a été « sanctuarisée » par Macky Sall comme étant la journée du Dialogue national. Il serait donc aberrant que les partisans de Macky Sall arrivent aujourd’hui à bouder ce qu’ils avaient instauré. On se souvient des critiques virulentes adressées à l’opposition d’alors, qui boycottait les dialogues. J’étais de ceux qui dénonçaient cette stratégie du vide. Il serait donc malvenu de l’approuver aujourd’hui, sous prétexte que le pouvoir a changé de camp. Il ne faut pas rendre à Ousmane Sonko les armes qu’on jugeait indignes. Dans une démocratie, il est irresponsable de fuir les discussions, surtout quand il s’agit de débattre de l’avenir du pays. Le devenir de la nation mérite de se faire violence, pour se mettre en face de ses plus irréductibles adversaires et discuter avec eux, pied à pied, en toute franchise et en toute liberté. Même dans les pires antagonismes, il faut dialoguer. On a vu par exemple en France où, au moment des plus violents antagonismes entre le régime du Président Macron avec les oppositions des extrêmes droite et gauche, Jean Luc Mélenchon et Marine Le Pen avaient consenti, en se faisant sans doute beaucoup violence, à aller discuter avec Emmanuel Macron. Cela ne les a jamais empêchés pour autant de garder leur liberté de ton et d’expression pour dire, à partir du perron de l’Élysée, des vertes et des pas mûres dans leurs appréciations de la politique du chef de l’État français. Au Sénégal, l’histoire nous enseigne que toutes les crises politiques et les avancées démocratiques ont pu être résolues ou réalisées, au sortir de séances de dialogue conduites sous l’égide du Président de la République. À titre d’exemple, c’est grâce à des séances de « dialogue », que certains opposants avaient d’ailleurs boycottées, qu’étaient formulées les idées de grâce et/ou d’amnistie en faveur de célèbres personnalités politiques détenues pour des causes aussi veules que des prévarications de deniers publics. C’est dire que la logique du camp de Macky Sall aurait pu être d’aller au Dialogue et peut-être d’y plaider, à l’occasion, l’effacement des multiples poursuites judiciaires, plutôt que l’effacement des adversaires politiques que le Premier ministre Ousmane Sonko clame comme méthode ou objectif de gouvernement. On ne le dira jamais assez, des poursuites judiciaires comme celles contre le « chroniqueur » Abdou Nguer sont une honte dans un pays comme le Sénégal. Au demeurant, tout camp politique qui prendra part à ces discussions gardera toute sa liberté de parole et son indépendance d’esprit, et c’est la bonne occasion ou la meilleure tribune pour administrer de bonnes leçons au Président Bassirou Diomaye Faye.
Les vérités à asséner en face, devant toute la nation
Qui empêcherait un acteur politique de rappeler au Président Bassirou Diomaye Faye  qu’un chef d’État ne doit pas tromper ses adversaires en leur promettant un discours de politique générale du Premier ministre, pour ensuite dissoudre l’Assemblée nationale la veille de l’échéance ? Qui pourrait l’empêcher de dénoncer, face à lui, le fait de cacher une décision du Conseil constitutionnel sur le processus électoral pour mieux surprendre ses adversaires dans une manœuvre indélicate visant à s’assurer une majorité ? Il sera aussi opportun de dire, dans le blanc des yeux, à Bassirou Diomaye Faye, qu’un « Président ne doit pas faire ça ». Il serait également pertinent et bien à propos de dire, au Président de la République, que les vertus républicaines et les principes d’éthique démocratique et de respect du rôle et de la place des institutions  prohibent l’attitude de la part d’un Premier ministre de bomber le torse en proclamant, devant les députés, être favorable à l’abrogation d’une loi d’amnistie scélérate, afin, disait-il, que tout le monde réponde de ses actes et de s’arranger, subrepticement, pour se faire délivrer ainsi qu’au Président de la République, en toute illégalité, une ordonnance de non-lieu sur les faits incriminés, par un juge qu’on peut présumer être « un juge du Projet », pour reprendre une malheureuse expression qui a dû faire mal à tout magistrat. Voilà qu’un juge s’autorise à instruire à charge ou à décharge contre un Président de la République en fonction ! Quid du sacro-saint principe républicain de l’inviolabilité de la personne du Président de la République ? C’est dire qu’en cherchant toujours à tricher, à ruser, on finit par se rendre ridicule ! La tribune du Dialogue national devrait se prêter à de tels rappels et leçons ! Il reste qu’ils sont nombreux à appréhender que la parole pourrait leur être refusée. Qu’à cela ne tienne, le Dialogue se tiendra devant tout le monde et on saura qui acceptera d’écouter l’autre. De même, sont déjà formulées des objections selon lesquelles ce serait un supplice de faire face à des diatribes effrontées des leaders de Pastef. Soit ! Mais ces diatribes sont stoïquement subies tous les jours, sur les travées de l’Assemblée nationale et pour autant les députés de l’opposition continuent de garder leurs mandats parlementaires. Devrait-on dialoguer exclusivement sur les questions politiques et institutionnelles ? Bien sûr que non ! Il conviendra d’enfoncer des portes ouvertes en soulignant que le pays a autant besoin de régler les questions démocratiques et/ou institutionnelles, mais aussi économiques et sociales. En définitive, je ne trouve aucune justification objective à un boycott du Dialogue national du 28 mai 2025.