C’est un voyage à Sikoung, un village de déplacés lové en Moyenne Casamance (dans la région de Sédhiou) et situé à moins de 10 kilomètres de la commune de Goudomp. Cette ancienne base rebelle, fortifiée par des bunkers et autrefois contrôlée par les combattants du Mouvement des Forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), fut une terre longtemps tourmentée par le conflit armé. Mais, grâce aux opérations de ratissage de l’armée sénégalaise, ce bourg revit. « Le Soleil Grand air » a fait une excursion dans le Balantacounda des profondeurs, à la rencontre des déplacés de retour sur le sol de leurs aïeux. Par Ibrahima KANDÉ (textes) et Assane SOW (photos)
Nous cheminons, la tête farcie d’idées reçues, de récits tragiques, de scènes de films d’horreur. La veille, les villageois avaient découvert une mine antichar dans les environs. L’armée l’a ensuite détruite. Et cette nouvelle angoisse nous colle au ventre. Nous nous enfonçons dans la forêt luxuriante. La piste de terre est abrupte, alluviale et éprouvante. Tantôt, nous nous enlisons dans une flaque d’eau répugnante, tantôt nous cognons les branches d’arbres. Le bruit du moteur couvre le bourdonnement des mouches, le jacassement des singes et le cri joyeux des oiseaux. Nous traversons successivement Akentou 1, Akentou 2, Bindaba, Sifassoutong, puis Bantacountou. Ici, l’on est forcés de descendre, ensuite prendre contact avec le sergent Aïdara, chef du détachement militaire de l’armée sénégalaise à Bantacountou, dernier village avant de rallier Sikoung. Sans tarder, il désigne le sieur Abdourahmane Diallo qui nous servira de guide.
La peur reprend ses droits, mais nous embarquons de nouveau. Destination, Sikoung. Nous arpentons ensuite une esquisse de sentier, balayant ainsi les virages et défrichant un maquis dense et épineux. Après un quart d’heure de trajet, Sikoung pointe ses toits en zinc qui scintillent comme des soleils d’argent sous les rayons. Sur instruction de sa hiérarchie, le sergent Abass Bass, chef du détachement militaire, nous donne l’autorisation de visiter le village. Sikoung se dévoile peu à peu. Le hameau séduit par sa nature généreuse, sa végétation exubérante, son climat doux et sa faune majestueuse. « Le village renoue avec sa joie de vivre… » À Sikoung, les maisons sont rudimentaires, posées distinctement et jetées pêle-mêle au hasard des caprices de la nature. Le village, presque bouffé par les ronces de la forêt, s’accroche solidement à un sol marneux, défiant les lois de l’équilibre. Sur ses passages abrités du soleil, ses ruelles orthogonales vouées au culte du piéton et de l’animal, des enfants rieurs. Une volaille qui déambule. Des champs de cultures diverses, alliant gombo et arachide, niébé et oseille, foisonnent de toute part.
L’air frais et humide ainsi que le parfum des mangues embaument les lieux. À coup sûr, la vie reprend ses couleurs. Ce village de déplacés, ancienne base rebelle héritée du Parti africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Paigc) et reprise plus tard par l’armée sénégalaise, sous les ordres du général Souleymane Kandé, revit. Les villageois, contraints de fuir leur localité en 1991, sont de retour. Pas tous ! Mais, le retour au village natal se fait au fur et à mesure. Longtemps martyrisée, la zone renoue avec son calme habituel, son hospitalité légendaire et son humanisme historique. Quarante-sept piges, torse et pieds nus, visage ridé et endurci par des tatouages tribaux, Mamadou Lélou tient son môme dans ses bras. Et le chérubin, dans toute son innocence, tente de tirer l’amulette accrochée au biceps de son pater qui hèle son enfant dans sa langue maternelle, le Mancagne. « Ibrahima et quatre de ses frères sont tous nés en Guinée-Bissau. Mes parents et ma famille avaient quitté Sikoung en 1991 à cause du conflit casamançais », embraie-t-il d’emblée. La voix émouvante, il poursuit : « Mais depuis deux ans, je suis rentré à Sikoung avec ma famille. D’autres familles déplacées prennent aussi le chemin du retour. Ici, la vie a repris son souffle ; nous vivons en paix grâce à l’armée qui veille au grain ». L’opération commando musclée des militaires sénégalais contre les bases rebelles du Mouvement des Forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), à partir de 2021, a favorisé le retour des déplacés poussés à l’exil en 1991.
Pour fuir exactions, tueries et pillages des combattants du Mfdc, certains villageois s’étaient réfugiés en Guinée-Bissau, le pays voisin. D’autres avaient élit domicile à Goudomp ou dans les villages environnants. Mais, depuis 2023, on enregistre un « comeback » des populations. Et les mouvements d’exode se poursuivent progressivement. Maintenant Sikoung accueille, de manière continue, ses enfants sous la supervision des militaires. Résilience « Nous saluons l’énorme travail abattu par l’armée sénégalaise. Sans elle, l’idée d’un retour au bercail n’allait guère effleurer notre esprit. Nous remercions tous les soldats qui, de jour comme de nuit, veillent à la sécurité des villageois. Depuis qu’ils sont présents dans la zone, il n’y a pas encore eu d’attaques rebelles », se réjouit Dion Signou Naloukane, chef de village de Sikoung Mancagne. Cet homme porte sur ses frêles épaules l’avenir de toute une communauté. Il est le symbole de la résilience et de la patience. Marié et père de plusieurs enfants, il s’était implanté, avec sa fratrie, à Papiya, en territoire guinéen, depuis 1992.
Il ajoute : « Grâce à la présence de l’armée, le village renoue avec son lustre d’antan et sa joie de vivre. Nous cultivons nos champs, faisons du petit élevage et un peu de cueillette aussi, juste derrière les concessions. Nous vivons vraiment en paix et nous invitons les autres villageois à revenir reprendre leurs maisons délaissées ». Pour l’heure, ils sont au nombre de 40 personnes, dont quatre femmes mariées et quelques enfants, à revenir sur les terres de leurs ancêtres. Mais globalement, selon le chef du village, Sikoung compte plusieurs centaines d’habitants éparpillés entre Sikoung Mancagne, Sikoung Mandingue et Sikoung Manjaque. Noués par les liens du sang et de la chair, ces villageois ont toujours vécu dans la paix, la concorde sociale et l’entre-aide. Assise sur un banc rafistolé, Diénaba Fikou est l’une des quatre femmes présentes actuellement dans le village. En sous-vêtement rouge, une croix pendue autour du cou, elle prépare le repas de midi. Diénaba s’attèle à trier des feuilles de moringa qu’elle plonge ensuite dans une marmite déjà posée sur un petit fourneau enfumant. « Depuis plus de trois décennies, nous n’avons pas posé les pieds dans ce village. Ma famille et moi avions quitté nos terres alors que j’avais juste 11 ans. Nous nous sommes réfugiés en Guinée-Bissau. D’ailleurs, c’est sur le sol guinéen que j’ai été mariée à un cousin du même village », indique-t-elle entre deux souffles. Pour tenir le coup du retour au bercail, Diénaba laboure la terre et élève quelques chèvres. Elle pointe du doigt ses champs de gombo et d’arachide qui se couvrent de verdure dont les plantes se pointent vers le ciel.
« Nous arrivons à tenir, mais le village manque de tout. Nous n’avons ni électricité ni route praticable. C’est l’armée qui nous prend en charge en cas de maladies. Le manque de case de santé pose problème et nous sommes obligés d’aller jusqu’à Goudomp commune pour recevoir des soins médicaux. Malheureusement, pour y aller, il faut débourser 3000 FCfa à l’aller comme au retour pour payer la course à moto », déplore Diénaba Fikou. Accroché sous le grand fromager du village qui sert d’arbre à palabre, Albert Yanga, 27 ans, coiffé d’un bonnet, le torse oint de beurre de karité, se démène à faire le linge. Il plonge ses mains dans un seau d’eau, en tire un Tee-shirt blanc qu’il replonge vite. Après les salamalecs d’usage, l’homme au visage gai lève les mains et remercie le ciel par une prière. Nous lisons lit dans son regard une certaine réticence à se livrer. Il explique : « Nous ne voit pas tous les jours des visiteurs dans le coin. Les gens viennent ici rarement. Malgré que l’armée ait repoussé les rebelles, ils n’ont pas encore dit leur dernier mot. Nous avons repris nos activités économiques, mais nous vivons encore dans la peur parce que la menace peut survenir de nulle part ». De partout !
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