
En prenant le contrôle d’un territoire à cheval sur la frontière syro-irakienne et en y proclamant la création d’un califat dirigé par son chef Abou Bakr Al-Baghdadi, désormais «calife Ibrahim», l’EI a remporté un succès dont les membres survivants du mouvement fondé par Oussama ben Laden ont rêvé sans y parvenir, ont fait savoir des experts ce mercredi 27 août.
«Les vétérans (du djihad international) considèrent qu’ils ont passé leur vie à combattre les superpuissances, en s’abstenant de proclamer un califat, et voient des nouveaux venus surgir de nulle part et leur voler le trophée», assure Thomas Hegghammer, du Centre norvégien de recherches sur la défense. «Et pour couronner le tout, l’EI demande à ces anciens de se soumettre à l’autorité d’un jeune et obscur calife».
La conquête par les combattants de l’EI (un mélange de djihadistes expérimentés, de recrues étrangères et de membres de tribus sunnites locales) de la ville de Mossoul leur a permis de mettre la main sur un trésor de guerre en centaines de millions de dollars et sur un arsenal digne d’une armée moderne.
Succès militaires
Célébrée sur les réseaux sociaux, cette victoire est un succès que les chefs d’Al Qaïda se sont gardés de saluer. Et même si la plupart des mouvements djihadistes qui avaient proclamé leur allégeance à Oussama ben Laden ont pour l’instant refusé de se rallier au calife Ibrahim, la poursuite des succès militaires de l’EI en Irak et en Syrie pourrait changer la donne.
«L’Etat islamique a déjà réussi à imposer au monde entier son intitulé, alors qu’il n’est pas un Etat, mais une machine de guerre, et que sa vocation totalitaire menace avant tout les musulmans», assure Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po. «Cette ambition sans frontière d’un Etat islamique est particulièrement attractive pour les nomades de la globalisation, ces individus aux identités mal assurées, qui se tournent vers le calife auto-proclamé.»
Matrice historique
«Le chef de cet +Etat islamique+ enchaîne les victoires militaires et semble affoler le monde entier alors que Zawahiri, le successeur de Ben Laden à la tête d’Al-Qaida, déblatère dans le vide, ne suscitant plus d’intérêt au-delà d’un cercle déclinant.
Baghdadi ne s’y est pas trompé, qui ne répond plus aux algarades de Zawahiri, mais les traite par le mépris», ajoute-t-il. «Al Qaïda a vécu comme matrice historique et va céder la place à l’Etat islamique».
Dans une tribune récente l’américaine Rita Katz, fondatrice du SITE Institute, spécialisé dans la surveillance des groupes djihadistes , regrette que «la menace de l’Etat islamique date de plusieurs années et a été largement ignorée. Le groupe en a profité pour se renforcer en combattant en dehors de l’Irak, faisant du conflit en Syrie une machine à recruter et entraîner. Le résultat est là: un groupe assez fort pour défier Al Qaïda, conquérir de vastes territoires, établir un califat et recruter un grand nombre d’occidentaux, tout en jurant de faire flotter son étendard sur la Maison-Blanche».
Actifs sur la Toile
Dès le départ, l’EI a compris l’importance de la propagande et a largement diffusé ses actions, ses succès, ses menaces et sa vision du monde. Lancée sur internet en juin, la campagne «Un milliard de Musulmans soutiennent l’EI» demande aux internautes d’illustrer par des photos leur adhésion aux thèses djihadistes.
Des bannières de l’EI sont ainsi apparues, sur des clichés, sur le pont d’un bateau passant près de la nouvelle Tour de la Liberté, construite à l’emplacement du World Trade Center à New York, devant la Maison-Blanche, à Amsterdam, Bruxelles, devant la tour Eiffel à Paris ou le Colisée à Rome.
«L’EI a compris qu’il ne convaincra pas la vieille garde l’Al Qaïda» ajoute Thomas Hegghammer. «Mais il a compris qu’il pouvait intéresser les jeunes recrues (…) C’est de loin le plus actif sur l’internet djihadiste au cours de l’année écoulée. Et avec ses succès sur le champ de bataille, il a montré qu’il avait un impact sur le monde réel dont les autres groupes djihadistes ne peuvent que rêver. Les nouvelles recrues, qui sont jeunes, masculines et impatientes, sont attirées par le groupe qui obtient des résultats».
(afp/Newsnet)