BERLIN: Les espions de la Stasi utilisaient de faux passeports suisses

Comment un agent du régime est-allemand voyageait-il à l’Ouest sans se faire repérer? «On lui fournissait un faux passeport suisse», explique Jochen Staadt, historien à l’Université libre (Freie Universität) de Berlin. «Durant la guerre froide, ces pièces d’identité étaient les préférées de la police politique, la Stasi», ajoute ce spécialiste de la dictature est-allemande, qui rédige actuellement un ouvrage sur les relations entre la RDA et la Suisse.

Dans le dossier 547

Ce passeport était un véritable sésame. «Les Suisses avaient une très bonne réputation. De plus, leur pays était neutre. Les risques étaient donc minimes», poursuit-il. Par ailleurs, en parlant allemand, ils pouvaient se faire passer pour des Suisses. Ils devaient néanmoins apprendre, au cours d’une formation spécifique, à manier l’accent alémanique. Aucun passeport étranger n’a été autant fabriqué par l’atelier de contrefaçon de la Stasi, comme le révèle pour la première fois un document récupéré dans le «dossier 547» des archives de la Stasi (BStU) à Berlin.

L’atelier de contrefaçon était installé au siège de la Stasi, dans la Normannenstrasse à Berlin, l’adresse la plus redoutée du régime communiste. «Le service technique avait beaucoup de moyens. Ses ingénieurs, très qualifiés, concevaient des faux documents, des micros ou des caméras cachées», raconte Jochen Staadt.

Des Suisses surveillés

Pour la contrefaçon d’un passeport, la Stasi avait plusieurs variantes. La première – celle de l’identité fictive – était utilisée dans les années 50 et 60, lorsque la police des frontières n’avait pas encore la possibilité de consulter des banques de données internationales avec des terminaux.

La seconde variante – l’utilisation d’une identité réelle – nécessitait une surveillance en Suisse pour s’assurer que la personne dont on avait volé l’identité ne quitterait pas le territoire pendant la période d’utilisation du faux passeport.

La surveillance des personnes était assurée par la «Direction VIII» (Hauptabteilung VIII). «Les indics, qui ne savaient jamais pourquoi ils surveillaient des citoyens suisses, étaient sans doute eux-mêmes des Suisses, car les Allemands de l’Est auraient été très vite repérés», explique Jochen Staadt. Parfois, la Stasi usurpait l’identité d’un Suisse décédé. Cela évitait un long travail de surveillance.

Mais les faux passeports n’étaient jamais utilisés pour voyager en Suisse. Toujours dans des pays tiers. Et ils ne servaient qu’une seule fois: après un contrôle aux frontières, l’identité était souvent vérifiée par les pays visités, qui découvraient la supercherie. Impossible de recommencer l’opération avec les mêmes papiers.

Il fallait donc produire une quantité importante de faux documents pour faire voyager les agents. «La Stasi a produit environ 1000 faux passeports suisses», estime Jochen Staadt. Les archives révèlent aussi que la dernière commande (300 unités) remonte au 28 septembre 1989, six semaines avant la chute du Mur. La dernière livraison devait avoir lieu en 1990, l’année de la réunification allemande.

Les agents munis de ces faux passeports suisses n’étaient pas des officiers de la Stasi. «L’Allemagne de l’Est craignait qu’ils n’en profitent pour fuir le régime», explique Jochen Staadt. Les agents des passeports suisses étaient des gens «normaux», éduqués et menant une vie tranquille.

Documents volés

Leur principale mission était de ramener en RDA des documents volés par les espions à l’étranger dans les entreprises occidentales. Ensuite, les informations étaient transmises aux entreprises. La Stasi faisait croire que les ingénieurs est-allemands avaient fait des découvertes en effaçant toutes les traces sur l’origine des documents.

Grâce à ces faux passeports suisses, la RDA a réussi à dérober pendant des années du savoir-faire aux Occidentaux. «Avec l’espionnage industriel, l’Allemagne de l’Est a économisé ainsi de gros investissements dans la recherche», insiste Jochen Staadt. Avant de se déclarer en faillite, il y a vingt-cinq ans, avec la chute du mur de Berlin.

(24 heures)