
Au sud de l’île de Cuba, sur la base navale américaine de Guantánamo Bay, la prison américaine contre le terrorisme détient aujourd’hui 148 «ennemis combattants étrangers», pour la plupart enfermés depuis près de treize ans, sans inculpation, sans procès, ni condamnation. Mercredi à Genève, le comité de l’ONU contre la torture soumet une délégation américaine à une rafale de questions concernant ce camp. A cette occasion, les Etats-Unis ont reconnu que la convention internationale sur la torture s’appliquait à Guantánamo. Retour sur l’histoire d’une prison hors-la-loi.
13 novembre 2001. A la suite des attentats d’Al Qaida sur le territoire américain, le 11 septembre 2001, le président George W. Bush autorise le Pentagone à détenir des ennemis étrangers pour une durée illimitée sans procès. Ces hommes se voient refuser le statut de combattant ou de prisonnier de guerre. L’article 3 des Conventions de Genève qui établit les normes d’équité judiciaire et prohibe la torture ne s’applique pas, selon Washington. En vertu de ce décret, aucune cour nationale, étrangère ou internationale ne peut juger ces hommes. Seule une commission militaire est autorisée à le faire.
Octobre 2001. George Bush signe le Patriot Act qui introduit des statuts d’exception pour les personnes soupçonnées de terrorisme et permet de soustraire les détenus aux droits prévus par les Conventions de Genève
Décembre 2001. La base de Guantánamo, qui n’est pas sur le territoire souverain des Etats-Unis est choisie pour détenir ces prisonniers qui ne peuvent donc pas faire valoir leur droit de demander l’habeas corpus (qui permet de contester la légalité de la détention et d’autoriser une remise en liberté).
Janvier 2002. Les premiers détenus sont transférés d’Afghanistan vers Guantánamo. Depuis cette date, 779 détenus sont passés par Guantánamo. Plus de 600 ont été transférés vers d’autres pays. Sept ont été déclarés coupables par la commission militaire. Six autres qui ont subi des tortures sont passibles de la peine capitale lors de leur passage devant la commission militaire. Neuf sont morts sur la base (dont sept par suicide). Douze prisonniers ont été incarcérés à Guantánamo alors qu’ils étaient mineurs.
Décembre 2002-avril 2003. Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld autorise diverses techniques d’interrogatoire comme la privation de sommeil, l’isolement ou la modification de température et d’autres encore, au cas par cas.
Mai 2004. Le camp V de Guantánamo est achevé sur le modèle des prisons de très haute sécurité.
Juin 2004. La Cour suprême met fin au non-droit de l’enclave et reconnaît la possibilité pour les détenus de contester leur emprisonnement devant des tribunaux américains.
Juillet 2004. Le Pentagone met en place des tribunaux d’examen du statut de combattant qui peut recourir à des informations obtenues sous la contrainte contre des détenus sans assistance juridique.
Janvier 2006. Un juge fédéral de New York ordonne au Pentagone de publier les noms de 317 des 490 prisonniers de Guantánamo.
Février 2006. Un rapport de l’ONU réclame que tous les prisonniers de Guantánamo soient jugés ou libérés immédiatement. Washington rejette cette demande.
Juin 2006. La Cour suprême des Etats-Unis statue que l’article 3 des Conventions de Genève s’applique aux détenus de Guantánamo. En octobre, le président George W. Bush promulgue le Military Act qui prive les tribunaux de la possibilité d’examiner les demandes d’habeas corpus. En décembre 2007, la Cour suprême des Etats-Unis réexamine les possibilités de recours à l’habeas corpus pour ces prisonniers. Entre 2008 et 2011, la Cour fédérale de district a rendu 47 décisions concernant des requêtes d’habeas corpus. Dans 22 affaires concernant 38 personnes (dont 17 Ouïgours dont deux ont obtenu l’asile en Suisse) le juge a déclaré la détention illégale.
10 novembre 2008. L’Office fédéral des migrations refuse la demande d’asile de trois ex-détenus de Guantánamo, en provenance d’Algérie, de Libye et de Chine.
20 novembre 2008. Premières libérations de cinq prisonniers ordonnées par la justice.
22 janvier 2009. Au lendemain de son investiture, Barack Obama signe un décret décidant la fermeture du camp de Guantánamo dans un délai d’un an. Il gèle également pour 120 jours le fonctionnement des tribunaux militaires d’exception instaurés par George W. Bush.
20 mai 2009. Le Congrès, pourtant dominé par les démocrates, empêche la fermeture de «Gitmo», comme l’appellent les Américains, en refusant l’enveloppe de 80 millions de dollars pour le transfert des détenus.
22 janvier 2010. Le délai d’un an a expiré. Il reste 198 prisonniers à Guantánamo.
Décembre 2010. Une loi est votée au Congrès qui interdit le transfèrement sur le territoire des Etats-Unis de détenus de la prison.
22 janvier 2011. 174 personnes sont toujours détenues à Guantánamo.
7 mars 2011. Obama signe un décret prévoyant le maintien en prison pour une période indéfinie et sans procès de 47 détenus, jugés trop dangereux pour être libérés, mais contre lesquels la justice manque de preuves.
Août 2014. Le président Obama reconnaît que les Etats-Unis ont torturé des gens à la suite des attentats du 11 septembre.
Novembre 2014. Le commandant de la prison estime irréaliste sa fermeture dans un délai de deux ans, contredisant la promesse d’Obama de fermer Guantánamo avant la fin de son mandat en janvier 2017.(TDG)