
«Ici, c’est un grand centre de distribution. Cet hiver, nous recevrons 2’200 familles par semaine. Nous sommes dans un secteur très défavorisé. La demande est en nette progression.» Janine Teboul est la bénévole en chef – elle ne veut pas qu’on lui donne du «directrice» – du centre d’aide alimentaire du XVIIIe arrondissement, à deux pas du périphérique et de la porte de la Chapelle. Une zone sensible dans Paris. Tours omniprésentes, périphérique bruyant, population précarisée: le Paris de carte postale est bien loin.
En cette journée de lancement de la 30e campagne d’hiver des Restos du Cœur, les bénévoles du XVIIIe s’affairent surtout à enregistrer les cartes pour les bénéficiaires. C’est une petite carte, verte, que les bénéficiaires doivent posséder pour recevoir l’équivalent de 6 repas par personne et par semaine. L’hiver 2013-14, la barre du million a été franchie. Soit quelque 130 millions de repas servis. Affligeant record.
Trente ans après leur lancement par Coluche, les Restos du Cœur sont devenus une institution. Plus de 2’000 centres à travers la France, quelque 67’000 bénévoles. Et des besoins de plus en plus importants. Le premier ministre, Manuel Valls, qui a ouvert la saison dans un centre du XVe arrondissement de Paris, l’a souligné hier encore: «Trente ans, les problèmes d’hier demeurent et ils se sont aggravés.» Et le chef du gouvernement de saluer les bénévoles qui sont «ce qu’il y a de plus beau pour la France: l’engagement, la générosité».
Visite au pas de charge «Si les retraités ne donnent pas, qui pourrait le faire?» répond du tac au tac Janine Teboul. On lui faisait remarquer que le «poivre et sel» était majoritaire parmi les bénévoles du XVIIIe. Cette ancienne responsable RH dans une banque fait visiter au pas de charge, tout en répondant aux nombreuses sollicitations des uns et des autres. Les autres, c’est par exemple ce ressortissant roumain passablement agité qu’elle semble être la seule à pouvoir recadrer de son regard bleu perçant.
Janine Teboul est une brindille de 67 ans tout en détermination et autorité naturelle. L’allumé partira avec un litre de lait pour ses enfants, mais devra revenir avec sa carte pour le reste.
«A chaque famille correspondent 6 ou 7 personnes. Ici nous apportons une aide à quelque 6’000 à 7’000 personnes. De nombreux bénéficiaires travaillent. Nous avons pas mal de retraités mais aussi toute une population de clandestins, de sans-abri et de Roms», explique Janine Teboul.
L’arrondissement qu’elle dessert avec son équipe de 70 bénévoles en tournus conjugue pauvreté, camps de Roms et population de clandestins hébergés dans les hôtels décatis avec vue sur le ruban de bitume. La Porte de la Chapelle fait régulièrement la une des faits-divers sociétaux. «Ici, on ne fait pas politique ni de religion, nous sommes engagés pour aider. Point!» coupe court Janine Teboul avant même que l’on puisse finir la question.
Saison d’hiver et… d’été Ainsi démarre la saison d’hiver au centre d’aide alimentaire des Restos du Cœur porte de la Chapelle. Les bénéficiaires présents, majoritairement des femmes, boivent un café dans l’espace accueil et s’en vont discrètement, avec pudeur. Elles ne souhaitent pas nous parler. Claude, lui, est bénévole depuis onze ans! Au passage, il salue ces dames d’un sourire – «A jeudi!» – en tirant sur une cibiche. «Il y a beaucoup d’habitués. On se connaît, à force! Et certains viennent presque toute l’année», raconte ce bénévole qui en est à sa onzième saison.
Car si les campagnes d’hiver finissent en mars, une aide alimentaire est assurée pour les plus pauvres durant quasi toute l’année. «Quelque 1’200 personnes pour ce centre», donne en exemple Janine Teboul. Sans compter les autres activités de l’association (aide aux gens de la rue, les conseils juridiques pour l’aide au désendettement). La statistique (Insee) est implacable: 8,5 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté.
(24 heures)