
Présent au moment de la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo, le journaliste Laurent Léger a pu survivre en se jetant instinctivement derrière une table. Avec l’équipe de dessinateurs, de rédacteurs et de techniciens qui ont également survécu ou n’ont pas été blessés – une dizaine de professionnels – il a participé à la rédaction du prochain numéro, qui sort aujourd’hui dans des conditions assez chaotiques. Mais il sort!
Et cela n’a pas été facile. «Nous allons continuer. Nous n’en avons plus beaucoup, mais il nous reste encore de l’énergie pour faire ce numéro. Il restera ensuite en kiosque durant plusieurs semaines. Nous allons ensuite préparer un numéro qui sortira dans quinze jours. Nous devons tous récupérer de cette épreuve. Et puis nous allons assister à tous les enterrements qui sont prévus les jours à venir», résume Laurent Léger, qui s’occupe au sein de la rédaction des enquêtes et de l’investigation.
Encore très éprouvé, il a trouvé les forces pour enquêter sur les failles des services de renseignement. «Nous ne comprenons pas comment deux équipes de tueurs connues des services de police ont pu se balader en plein Paris, armés jusqu’aux dents», ajoute le journaliste.
Le sursaut républicain des Français, massivement mobilisés dimanche 11 janvier, a réjoui l’équipe de rescapés. «Ces marches ont d’abord été organisées contre le terrorisme plutôt qu’en faveur de Charlie Hebdo. Tout cela nous dépasse. Nous sommes conscients que notre hebdomadaire n’était pas très connu, y compris en France. C’est un petit journal, réalisé par une petite équipe». Une raison supplémentaire expliquant l’incompréhension pour cette tuerie, pour ce journaliste qui, avant de rejoindre Charlie Hebdo il y a un peu plus de cinq ans, a notamment travaillé comme enquêteur à Paris Match avant de diriger la rédaction de Bakchich, un site dédié à l’investigation aujourd’hui disparu.
Comment la rédaction de Charlie Hebdo va-t-elle traiter une information aussi sensible que celle de ces attentats qui ont tué huit des leurs? «ça va être difficile, mais nous n’allons pas lâcher l’humour. Nous allons nous moquer de nous-mêmes. Nous avons toujours défendu le rire».
Mercredi passé, Laurent Léger a assisté au massacre. Il se tenait debout lorsqu’un premier tueur est apparu dans l’embrasure de la porte. «Tout s’est alors passé très vite. Je revois encore cet homme vêtu de noir, encagoulé, qui a hurlé «Allah Akbar» à deux reprises. Il a juste mentionné le nom de Charb. Et puis, il a tiré partout.» De manière systématique, rapide, balle après balle. Des bruits qui resteront à jamais gravés dans la mémoire du Français. Le journaliste pense que sa dernière heure est arrivée. Mais il parvient à se cacher pendant que le massacre continue. «Je suis resté figé. Après, quand les secours sont arrivés, j’ai craqué. J’ai beaucoup pleuré. Mais j’ai bien été entouré, par ma famille et par mes proches. J’ai ensuite raconté mon expérience personnelle à des médias. Je me suis épanché. Je crois qu’il est important d’évacuer tout cela. Les psys nous ont dit que nous risquions de connaître une grosse dépression post-traumatique».
Laurent Léger n’y pense pas trop. Il n’a pas le temps d’y penser, d’ailleurs. «Lundi, j’ai dit à la psy qui me demandait comment cela allait, si j’avais besoin d’une pause, de parler: «je n’ai pas le temps, j’ai un journal à terminer», rigole-t-il. L’humour, la compassion, l’action, c’est ce qui l’a aidé à traverser les pires moments de sa vie.
(24 heures)