
Auteur de plusieurs livres sur l’islam, Zidane Meriboute est docteur en droit et en relations internationales de l’Université de Genève (IUHEID). Il fut notamment conseiller pour les relations avec le monde arabo-musulman dans une importante organisation humanitaire (Genève). Il répond à son tour aux questions simples que vous vous posez sur l’islam.
L’islam est-il intolérant à l’égard des autres religions?
La relation du prophète Muhammad vis à vis des autres communautés religieuses (chrétienne, juive/judaïque, zoroastrienne, polythéiste) est régie, d’une part, par le Coran et, d’autre part, par les principes de la Charte de Médine. L’islam reconnait la diversité des confessions et des cultes; chaque individu est libre de s’instruire dans la foi qu’il choisit. Le Livre Sacré (Coran) invite les musulmans à être tolérants et respectueux des autres croyances. A cet égard, deux versets du Coran sont éloquents. Le premier dit: «À vous votre religion. A moi ma religion.» (Coran 109:6). Alors que le second prohibe clairement toute contrainte en matière religieuse. Il dit :«Nulle contrainte en la religion.» (Coran 2:256)
La Charte de Médine (reproduite dans notre dernier ouvrage sur le Prophète Muhammad, éditions Erickbonnier, Paris 2012), autorise aussi les différences entre les religions. Elle reconnait et respecte les «Gens du Livre» (en arabe : Ahl al-Kitab). La majorité des musulmans, à l’exception d’une minorité, adopte une attitude tolérante et solidaire envers les Chrétiens, les Juifs et d’autres croyances. Le principe du respect des croyances et des coutumes des autres religions est acquis en islam. Il a été concrétisé durant 7 siècles, en Andalousie, à travers la « convivencia » qui désigne les rapports harmonieux entre juifs, chrétiens et musulmans.
La représentation du prophète est-elle autorisée ou pas?
La représentation du prophète n’est pas autorisée en islam. Ce principe n’est pas coranique mais découle d’une interprétation restrictive des faits et gestes du prophète Muhammad. Le geste le plus significatif du prophète au sujet de la représentation a été fait lors de la conquête définitive de la Mecque (en l’An 630). Il avança vers la Kaaba et fit sept fois le tour du sanctuaire. À la fin de la cérémonie, il ordonna de détruire les images et idoles qui peuplaient le saint édifice. Finalement il entra dans la Kaaba et y prononça le takbir (Allahou Akbar). Voir à ce sujet notre ouvrage: «Une nouvelle «vie» du prophète Muhammad, p.132. Enfin, je me permets de mettre en lumière la position d’un théologien respecté en islam: l’émir algérien Abd el-Kader. Il expliqua au consul français Daumas que la représentation des personnes à l’aide d’enduits en or ou en argent était interdite en islam. Cependant, il ajouta que toute représentation de personnes à l’aide d’encre est tolérée par la religion de Muhammad. Cette interprétation de l’islam est rejetée par l’orthodoxie musulmane salafiste mais elle est tolérée par l’islam modéré, ce qui a encouragé la création artistique dans les pays musulmans.
L’islam incite-t-il à la violence?
La question de la violence nous mène directement à l’interprétation de la notion de Djihad en islam. Non, le Djihad ne doit pas être confondu avec le terrorisme et la violence. L’islam n’incite pas à la violence. Contrairement aux intégristes, les musulmans adeptes de la pensée libérale moderne, n’intègrent pas le jihad parmi les cinq piliers (ou obligations) constituant le fondement de leur mode de vie. A leurs yeux, le djihad ne signifie pas la guerre sainte contre les mécréants, mais l’ effort que le croyant porte sur lui-même, contre ses passions individuelles.
Ils étayent cette thèse en se référant à un hadith du prophète Muhammad qui, après avoir accompli ses expéditions militaires, dit à ses fidèles: “Nous voici revenus du djihad mineur (al-asghar) pour nous livrer au djihad majeur (al-akbar).” En somme, pour la plupart des musulmans le djihad mineur (ou petit djihad) est interprété dans le sens d’une «guerre défensive» qu’ils doivent mener exceptionnellement; alors que le djihad majeur (ou grand djihad), beaucoup plus méritoire selon leur prophète, prend le sens d’une lutte intérieure contre les passions mauvaises, pour la discipline morale et la victoire sur soi-même.
La majorité des musulmans comprend le djihad comme une discipline morale à but humaniste et qu’elle s’écarte de l’idée de «guerre sainte». De même, le djihad n’a rien à voir avec les actes de violence et de pillage commis contre des populations innocentes par des groupes radicaux et extrémistes qui se réclament faussement de l’islam.
Il est également regrettable de voir les média tant occidentaux (et parfois arabo- musulmans) faire cette erreur sémantique en employant le mot djihad en lieu et place de terrorisme que commettent les extrémistes à travers le monde. A force de mal utiliser la notion de djihad (naturellement paisible), on a fini par le suppléer au terme de terrorisme belliqueux qui lui relève de la criminalité et de la violation des principes humanitaires.
L’apostasie et le blasphème sont-ils condamnés par les textes?
Le délit d’apostasie et sa sanction n’a pas de base dans le Coran. Il s’agit d’une infraction créée par les oulémas (théologiens). Au contraire le Coran est tolérant et suggère la liberté de conscience et de religion. Il dit : «Si Dieu l’avait voulu, l’univers tout entier embrasserait la vraie foi. Voudras-tu contraindre les hommes à se convertir?» (Coran, sourate X, « Younes », verset 99)
Mais en principe, entre le musulman et Dieu, il existe une convention (mithâq) qui les lie. Il est reconnu par les musulmans que personne ne peut s’arroger le droit de s’immiscer dans cette relation établie entre Dieu et le fidèle pour autant que ce dernier respecte les principes du mithâq. Ce n’est qu’à partir du moment où le musulman rompt son lien avec Allah que l’on peut parler de reniement de l’islam ou « apostasie ».
Cependant, cette apostasie demeure une affaire privée entre Dieu et le musulman qui a rompu son contrat de fidélité avec son créateur. Par conséquent, c’est à Dieu et non à un individu ou à un religieux quelconque qu’il appartient de punir l’apostat. En islam, la grâce est donnée par Dieu et non par des individus, quel que soit le rang qu’ils occupent dans la hiérarchie islamique. Il est à signaler que certains religieux radicaux contemporains sont allés au-delà de la punition divine en s’arrogeant le droit de condamner à mort des apostats !
S’agissant du blasphème en islam, celui-ci est considéré comme un délit, mais il est intrinsèquement lié au pardon. La gravité du blasphème est laissée à l’appréciation du juge musulman. Les lourdes peines sont rarement prononcées. La loi est généralement interprétée avec souplesse.
Dans le même registre, il est à signaler que même de nos jours, certains Chrétiens fondamentalistes se posent la question de savoir s’il ne faudrait pas revenir aux punitions du blasphème prévues par La Sainte Bible contenant l’ancien et le nouveau Testaments. En effet, La Bible prévoit dans son Lévitique, chapitre 24, verset 16 que : « … celui qui blasphémera le nom de l’Eternel sera puni de mort: toute l’assemblée ne manquera pas de le lapider; on fera mourir tant l’étranger que celui qui est né au pays, lequel aura blasphémé le nom de l’Eternel. »
Doit-on conclure que tous les Chrétiens sont pour la condamnation à mort de celui qui blasphème ? Au risque de me répéter, certains fondamentalistes chrétiens posent cette question à l’ensemble de la Bible (voir au ce sujet du retour de certains américains aux textes fondamentaux bibliques in Le Protestant, N°7, Août/Septembre 2004, p.8.)
(24 heures)