
Le pape François a retrouvé le Vatican aujourd’hui. Hier encore, il était en Asie après six jours d’un voyage au Sri Lanka et aux Philippines. La messe finale de dimanche à Manille aurait rassemblé quelque six millions de personnes: Chiffre record pour un rassemblement chrétien! De quoi réconforter le pape François (78 ans) aussi populaire parmi les fidèles que contesté au sein de la hiérarchie de l’Eglise. L’écrivain et journaliste Marco Politi, qui suit pour La Repubblica les affaires vaticanes depuis des décennies, décrit dans «François parmi les loups» un pape qui s’isole dans une église réfractaire au changement. Arrivera-t-il à amadouer les loups et à les changer en agneaux comme le prétend la légende de saint François?
A vous lire, nous assistons à une guerre civile catholique?
Depuis toujours et à chaque Concile, il y a eu des discussions… Mais, aujourd’hui, c’est à une véritable campagne de délégitimation du pape François à laquelle nous assistons en coulisses. Sur certains sites internet, à l’instar de ce qui se dit au sein de la Curie romaine (ndlr: institutions du Saint-Siège à Rome), mais aussi dans les régions les plus traditionalistes du catholicisme, les critiques sont virulentes envers ce François qui interroge la primauté du pape et la sacralité de sa propre fonction.
Le pape François a parlé de l’«Alzheimer spirituel» de la Curie. Est-ce rassurant un pape aussi offensif?
Non, ce n’est pas un signe rassurant. Le pape François jouit d’une incroyable popularité parmi les fidèles et suscite également une immense curiosité et sympathie au sein des croyants d’autres religions et même parmi les athées. Ses positions sont néanmoins minoritaires parmi la Curie. S’il a fait ce reproche très dur, publiquement, à ses proches collaborateurs, c’est le signal d’alarme des difficultés qu’il rencontre dans sa stratégie de réforme. Le pape se réfugie parmi les fidèles, loin des loups…
Le pape est-il en danger?
Depuis l’attentat de Mehmet Ali Agça contre Jean-Paul II, tous les papes sont en danger face à des loups solitaires. En revanche, je ne pense pas que la vie du pape soit en danger comme elle pouvait l’être lors des conspirations du Moyen Age et de la Renaissance.
On est dans le symbolique…
Oui. Par contre, depuis la vague d’attentats islamistes en Europe, la sécurité a été renforcée au Vatican. On peut voir désormais des policiers avec des mitraillettes sur la Place St Pierre à Rome ce qui est très rare. Daech (ndlr: organisation Etat islamique) a diffusé des vidéos sur lesquels on voit son drapeau noir flotter sur le dôme de St Pierre de Rome. La menace terroriste est prise au sérieux.
Les réformes engagées sont-elles déjà condamnées?
Nous sommes à un moment crucial de la stratégie du pape François. Ses opposants lors du synode sur la famille de 2014, le cardinal américain Raymond Burke et le cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller, ont publié un livre très agressif dont le titre dit déjà tout: «Rester dans la vérité du Christ». Le courant qu’ils représentent s’oppose farouchement aux ouvertures que le pape François propose sur le rôle des femmes dans l’église, la communion des divorcés, des concubins ou des homosexuels. Lors du dernier synode, les conservateurs ont gagné car ils ont tout bloqué.
Ces thèmes seront néanmoins traités lors du synode en 2015?
On est à la moitié du gué! Lors du prochain synode sur la famille en 2015, il y aura davantage de représentation des épiscopats. Tout ne dépendra donc pas des cardinaux et des évêques, mais aussi du clergé de base et des fidèles. Qui, pour le moment, se montrent passifs. Le danger pour le pape François vient non seulement des loups, mais aussi de l’inertie des fidèles. Il ne suffit pas de l’applaudir, il faut encore soutenir ce pape.
Où se situe la ligne rouge à ne pas franchir pour ce pape réformateur?
Pour les conservateurs les plus acharnés, il a déjà franchi la ligne rouge. Ses gestes d’ouverture envers les femmes, les concubins, les homosexuels tout comme ses dénonciations des habitudes de luxe et les manquements des ambitieux à la Curie sont déjà de vraies révolutions. L’idée aussi d’une église qui serait autant dans une dynamique vers le monde que dans le respect de la règle est très neuve. Le Vatican a toujours été une forteresse doctrinaire. Et François veut s’en affranchir pour une église plus vivante.
Vous diriez que l’époque a changé ou que le pape cherche le changement d’époque?
Le pape François a compris qu’une église autoritaire n’est pas capable de parler aux gens d’aujourd’hui. L’église doit être comme un hôpital de campagne qui accompagne et soigne les blessés, rassure et comprend les hommes et femmes dans leur vie et dans leurs angoisses. Dans cette église, chacun doit être libre de parler et de faire des propositions. Le pape François aime parler de l’Esprit sain qui apporte des surprises.
Vous laissez entendre que le pape François comme son prédécesseur renoncera le moment venu. C’est une véritable révolution qui s’écrit dès lors?
C’est effectivement la grande révolution pratique et idéologique de Benoît XVI. Dans un geste de clairvoyance, il y a démythifié la papauté. Le pape n’est plus une icône, mais une personne en mesure de diriger l’église. C’est plus engageant! Cela redevient un service auquel on doit renoncer si on n’est plus en mesure de l’accomplir. Le groupe des conservateurs lutte contre cette «papauté à durée déterminée», qui les heurte et qui va contre leurs intérêts – quand le pape est malade, diminué, c’est la Curie qui dirige. Le groupe conservateur joue la montre et espère désigner un prochain pape plus en ligne avec sa doctrine!
A lire: Marco Politi, «François parmi les loups», Ed. Philippe Rey (TDG)