
Dernier «trophée» en date pour le redouté parquet anti-corruption (DNA), la très médiatique Elena Udrea, ancienne candidate à la présidentielle de novembre et proche conseillère de l’ex-chef de l’Etat Traian Basescu (2004-2014).
Considérée par les médias comme l’une des figures politiques les plus influentes de cet ancien pays communiste d’Europe de l’Est, «la blonde Udrea», 41 ans, a été placée en garde à vue dans la nuit mardi à mercredi après une audition marathon de plus de 10 heures au siège du DNA qui a réclamé sa mise en détention provisoire pour trente jours.
Elle est accusée de blanchiment, de trafic d’influence et de corruption dans deux dossiers, dont l’un portant sur l’achat de licences Microsoft, une affaire tentaculaire touchant au total une dizaine d’anciens ministres.
Les investigations du DNA ont pris de la vitesse ces dernières semaines. Plusieurs anciens ministres, un juge de la Cour constitutionnelle, et même la chef du parquet anti-mafia (DIICOT), Alina Bica, sont tombés dans ses filets.
Les enquêtes en cours «montrent l’Etat tel qu’il est: un système mafieux corrompu, avec des centres de pouvoir où on vend et on trafique des postes de ministres ou de procureurs, et des responsables qui versent une partie des commissions qu’ils perçoivent au parti dont ils sont membres», résume l’analyste politique Alina Mungiu-Pippidi.
Depuis plusieurs années déjà, la réforme de la justice menée sous l’oeil vigilant de Bruxelles a ébranlé l’impunité dont semblaient jouir nombre de responsables politiques. La double condamnation pour corruption en 2012 de l’ancien Premier ministre Adrian Nastase en est devenue le symbole.
Les Roumains sont très attachés à l’indépendance de la justice dans leur pays, qui reste l’un des plus pauvres de l’Union européenne. Ils l’ont prouvé en choisissant comme président Klaus Iohannis, un gestionnaire à la réputation d’homme probe et infatigable défenseur des magistrats.
Dans son discours d’investiture en décembre, l’ancien professeur de physique issu de la petite minorité allemande avait prôné une «Roumanie débarrassée de corruption».
Des questions demeurent sur le moment choisi pour lancer des poursuites contre Mme Udrea, deux mois après la fin du régime de Traian Basescu, qui l’avait soutenue publiquement tout au long de ses dix ans au pouvoir.
«Nos enquêtes suivent leur cours, sans égard pour les développements sur la scène politique ou pour les commentaires d’hommes politiques et des médias», a indiqué à l’AFP la porte-parole du DNA Livia Saplacan, mettant en avant le bilan des procureurs: 1167 personnes, dont de hauts responsables, renvoyées en justice en 2014.
Cristina Guseth, présidente de l’antenne roumaine de Freedom House, souligne de son côté que «l’indépendance de la justice a commencé à se manifester sous Traian Basescu, lorsqu’ont été condamnés également des responsables de son camp».
Mais les politiques ne sont pas les seuls visés par le DNA. Un juge de la Cour constitutionnelle, Toni Grebla, est accusé de corruption dans un dossier portant sur des marchés publics. Contraint à la démission la semaine dernière, il pourrait être arrêté dans les prochains jours.
Autre figure emblématique de la Roumanie post-communiste, le magnat des médias Adrian Sarbu, est en prison depuis une semaine pour évasion fiscale et blanchiment d’argent.
Plusieurs hommes d’affaires, dont le milliardaire Ioan Niculae, sont pour leur part poursuivis dans différents dossiers, pour des infractions allant de blanchiment à «tentative de saper l’économie nationale».
«Deux grands mécanismes sont utilisés en Roumanie pour dévaliser l’Etat: les marchés publics et l’évasion. L’action des procureurs est cruciale, mais pas suffisante», souligne Mme Guseth, qui appelle à durcir la législation en la matière.
Selon Alina Mungiu-Pippidi, la clé pour le pays est le maintien d’une cohabitation, comme actuellement où le chef de l’Etat -qui a un pouvoir de veto sur les textes de lois- est un conservateur et la majorité parlementaire menée par le Premier ministre Victor Ponta est un social-démocrate.
Pour elle, «la justice ne peut pas décimer les grands trafiquants d’influence et les spoliateurs des richesses du pays si le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul parti».
(afp)