
Près de deux semaines avant son assassinat vendredi en plein centre de Moscou, l’opposant au Kremlin Boris Nemtsov confiait à un hebdomadaire russe à faible tirage ses craintes et celles de sa famille quant à sa sécurité. «Vous savez, oui… un peu», répondait l’ancien vice-premier ministre au journaliste de l’hebdomadaire Sobessednik qui lui demandait s’il avait peur que le président russe Vladimir Poutine s’en prenne à lui.
«Mais malgré tout, je n’ai pas si peur de lui. Si j’avais très peur, je ne dirigerais pas un parti d’opposition et je ne ferais pas ce que je fais», nuançait-il début février dans les colonnes de ce journal qui a connu son heure de gloire dans les années précédant la chute de l’URSS.
L’opposant, qui s’est attiré nombre d’ennemis en dénonçant l’«agression russe en Ukraine», racontait discuter fréquemment politique avec sa mère Dina Eidman, 87 ans, à qui M. Poutine a présenté ses condoléances samedi. «Elle est catégoriquement opposée à ce qui se passe en Ukraine. Elle estime que c’est une catastrophe et un cauchemar total. Mais ce qui l’inquiète plus que l’Ukraine, c’est Poutine», raconte M. Nemtsov.
Nombreuses menaces
«A chaque fois que je l’appelle, elle radote: Quand est ce que tu arrêteras de blâmer Poutine? Il va te tuer! », poursuit-il. «Elle a réellement peur qu’on me tue très prochainement à cause de mes prises de position». Boris Nemtsov a reçu au fil des ans de nombreuses menaces.
Les enquêteurs russes ont cité parmi les motifs possibles de son assassinat la piste islamiste pour son soutien à Charlie Hebdo et celle d’«éléments radicaux» impliqués dans le conflit en Ukraine. «J’espère malgré tout que le bon sens prévaudra et que Poutine ne vous tuera pas», plaisante alors le journaliste de Sobessednik. «Si Dieu le veut. Je l’espère aussi», lui répond Boris Nemtsov.
Preuves contre Moscou
Le président ukrainien Petro Porochenko a affirmé que Boris Nemtsov a été assassiné parce qu’il s’apprêtait à divulguer des preuves de l’implication de Moscou dans le conflit séparatiste en Ukraine.
«Il disait qu’il allait révéler des preuves convaincantes de l’implication des forces armées russes en Ukraine. Quelqu’un avait très peur de cela, ils l’ont tué», a dit M. Porochenko, ajoutant que M. Nemtsov lui avait confié il y a quelques semaines qu’il possédait la preuve du rôle joué par la Russie dans la crise ukrainienne.
«Il était un pont entre l’Ukraine et la Russie, et ce pont a été détruit par les coups de feu d’un assassin. Je pense que ce n’est pas par hasard», a réagi le président ukrainien.
Parmi les nombreuses condamnations à l’étranger, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a dénoncé samedi dans un communiqué «un meurtre brutal». Il souhaite que les autorités russes fassent tout leur possible pour que ce crime soit élucidé et que les coupables ne restent pas impunis.
«Epouvantable assassinat politique»
L’ancienne dissidente Lioudmila Alexeeva a résumé le sentiment de ceux qui soutenaient Boris Nemtsov dans sa lutte contre les autorités: «C’est un épouvantable assassinat politique».
Comme d’autres membres de l’opposition, Boris Nemtsov était aussi parti en lutte contre la corruption. Dans des rapports, il avait dénoncé le coût pharaonique des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi et dressé la liste de nombreux bâtiments publics, hélicoptères et avions mis à la disposition de Vladimir Poutine.
Quelques heures avant d’être assassiné, il appelait les Russes – sur l’antenne de la radio indépendante Echo de Moscou – à manifester dimanche dans la capitale contre «l’agression de Vladimir Poutine» en Ukraine et pour l’arrêt de la guerre dans l’Est séparatiste.
«La décision a été prise d’annuler la manifestation et d’organiser à la place une marche dans le centre de Moscou» à la mémoire de Nemtsov, a déclaré l’un de ses compagnons de l’opposition, Mikhaïl Kassianov, ancien Premier ministre de M. Poutine.
«Relancer l’hystérie antirusse»
Du côté des alliés du Kremlin, l’accent était mis sur l’aspect «provocateur» de cet assassinat, et les risques de déstabilisation pour la Russie.
«M. Poutine a déclaré que cet assassinat brutal portait les marques d’un meurtre commandité et avait tout d’une provocation», a dit son porte-parole Dmitri Peskov.
«Manifestement, il faut que le sang coule pour que des troubles éclatent dans le centre de Moscou», a commenté le chef du parti communiste Guenadi Ziouganov. Un autre responsable du parti, Ivan Melnikov, a estimé qu’il s’agissait d’une «provocation destinée à relancer l’hystérie antirusse à l’étranger».
(afp)