Départementales en France «Les choix de Marine Le Pen validés par le vote»

«Ce n’est peut-être pas la victoire escomptée pour le FN, mais pour Marine Le Pen, c’est encore un coup gagnant qui valide dans les urnes ses choix opérés depuis qu’elle a accédé à la présidence du parti en 2011.» Jean-Yves Camus, spécialiste du Front national (FN), décortique avec soin les résultats du 1er tour des élections départementales. Bien qu’en dessous des 30% dont le créditaient les sondages, le FN réalise avec 25% des suffrages exprimés le meilleur score de son histoire. Aussi le parti de Marine Le Pen a définitivement brisé l’habituelle bipolarisation UMP-PS qui caractérisait la vie politique française. Le tripartisme est là.

Dimanche soir, dans la confusion des estimations et dans la manière de les lire, différents tiercés ont été donnés. Au final, chiffres confirmés, c’est toujours l’UMP et ses alliés qui virent en tête avec 29% des voix, suivie du FN en deuxième position qui, tout seul, engrange 25% et le PS se ramasse un sévère 21%. Au total, les droites traditionnelles pèsent 37%. Toutes les gauches 36,5% et l’extrême droite score à 25,2%. De quoi couper la France en trois, ce qui ne manque pas d’inquiéter les chercheurs de l’observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès, institution ancrée à gauche.

Stratégie gagnante

«La stratégie du FN de miser sur le local porte ses fruits. Le parti a beaucoup investi pour former du personnel politique en vue des Municipales et des Départementales. Elle a fait d’une pierre deux coups, si ce n’est trois! Ce sont les mêmes personnes qui se sont présentées aux deux élections et que l’on verra encore aux Régionales. C’est réellement un coup gagnant de Marine Le Pen», développe Jean-Yves Camus. Le chercheur voit dans ce résultat un «scrutin de confirmation et non de bouleversement». Et le politologue de prédire que le vote FN s’est installé durablement à un haut niveau dans le paysage politique français. «D’autant que la sociologie des candidats FN est intéressante. Ils sont plutôt jeunes, issus de milieux modestes et qui voient dans le FN aussi une manière de couper la file pour accéder à des responsabilités politiques», analyse Jean-Yves Camus.

Accaparer le patriotisme

Pour Joël Gombin, spécialiste du vote FN, il est intéressant «de constater les progrès du FN même quand il n’arrive pas en tête. A Saint-Nazaire (ndlr: Loire-Atlantique), il fait 20% des voix. Pourtant la reprise économique y est perceptible. Les chantiers navals ont redémarré», analyse le chercheur qui voit dans la progression du FN une dynamique qui dépasse le scénario de l’activation d’un «réservoir» de vote FN. Ainsi dans 107 cantons, le vote frontiste progresse par rapport aux voix de Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2012.

C’est une dynamique de vote «patriotique», selon Joël Gombin, qui a été enclenché dès 2007 par Nicolas Sarkozy lors de la droitisation de sa campagne et qui désormais vient grossir le vote FN. Il remarque ainsi que les cantons où Nicolas Sarkozy avait fait les meilleurs scores en 2012 sont ceux, où trois ans plus tard, le vote FN prospère le plus. Marine Le Pen récolterait ce que Nicolas Sarkozy a semé.

Adapter le discours

«On pourra lier ces excellents résultats à la stratégie de démultiplication et d’adaptation des discours frontistes aux enjeux et aux langages locaux», affirme Cécile Alduy, de la Stanford University et membre de l’Observatoire des radicalités. Pour elle, comme pour ses collègues, le discours du FN met l’accent dans le sud sur les thèmes sécuritaires et identitaires, tandis que dans le nord désindustrialisé, il est plus social.

Mais, explique encore Jean-Yves Camus, «ce qui fait l’unité du FN c’est le discours anti-immigration en filigrane. Au nord comme au sud. Et pour les ouvriers qui expriment le besoin d’un état fort, social et protecteur, le FN désigne par ses éléments de langage la migration comme le concurrent à ce filet sécuritaire. D’ailleurs, dans les années 60 et 70, un tiers des ouvriers votaient gaulliste et illustraient ce même besoin de protection», pense Jean-Yves Camus. Qui, comme ses deux collègues, résume les thématiques du FN: «immigration, identité et sécurité». (TDG)