Afrique de l’Ouest: «L’épidémie d’Ebola n’est pas encore terminée»

 

Après la Guinée en janvier et le Liberia un mois plus tard, c’était au tour de la Sierra Leone, mardi, de rouvrir ses écoles après huit mois de fermeture pour cause d’Ebola. Cette bonne nouvelle n’annonce toutefois pas la fin de l’épidémie, explique le Dr Olivier Hagon.

Médecin adjoint au service de médecine humanitaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et coordinateur médical de la Chaîne suisse de sauvetage, Olivier Hagon rentre de sa quatrième mission en Afrique de l’Ouest depuis le début de l’épidémie. Après trois séjours au Liberia en 2014, il vient de passer quelques jours en Guinée, le deuxième des trois pays les plus touchés par Ebola avec la Sierra Leone. Son témoignage d’homme de terrain est aussi poignant qu’instructif.

– A quand fait-on remonter l’apparition de cette dernière épidémie d’Ebola, et combien de victimes a-t-elle fait?
– Le premier cas qu’on appelle le cas index est celui d’une fillette, identifié en décembre 2013 à Guéckédou, en Guinée forestière. L’épidémie a été officiellement déclarée le 26 mars 2014. Au 8 avril dernier, selon les derniers chiffres de l’OMS, 25 515 cas confirmés ont été répertoriés, dont 10 572 mortels. Parmi ces cas, il me semble important de relever que 861 étaient des professionnels de santé, dont 499 sont décédés.

– Et les expatriés?
– Les quelques cas d’expatriés contaminés et soignés en Occident ne sont pas répertoriés dans ces chiffres, dont le cas du médecin cubain de l’OMS hospitalisé à Genève. Mais quoi qu’il en soit, il faut savoir qu’un cas absorbe une énorme énergie, tant sur le plan matériel qu’en terme de ressources humaines. Au-delà du traitement du patient, il y a toutes les conséquences liées à la psychose générée par Ebola qui font qu’une partie du personnel médical a peur, que les familles s’inquiètent, etc.

– Peut-on dire que la psychose a fait plus de mort que la maladie elle-même?
– En quelque sorte oui. Car la malaria, les diarrhées et autres maladies non traitées à cause de la psychose d’Ebola ont plus tué. L’enjeu était donc de renforcer le système de santé pour traiter les patients d’Ebola et fournir les soins primaires et secondaires à la population. Au-delà des questions de santé, ce qui était très frappant c’était de voir les conséquences énormes sur la société qu’a eues l’épidémie. C’est pourquoi il faut distinguer l’épidémie d’Ebola et la crise qu’elle a suscitée. En termes économiques, de violence sur le terrain, d’alimentation, d’ostracisme dont les enfants des victimes étaient frappés. Si on devait évaluer le nombre de morts provoqué par la crise Ebola, on serait largement au-delà de 10’000 morts dues à l’épidémie Ebola.

– Treize mois après le début de la flambée de l’épidémie, est-elle maîtrisée? Contenue, en régression?
– C’est difficile de donner une réponse simple. Mais, pour ce qui est du Liberia, on arrive presque au contrôle de l’épidémie. En Sierra Leone, on est en voie d’amélioration avec peu de nouveaux cas alors qu’en Guinée, la situation est relativement préoccupante avec encore un nombre certain de nouveaux cas.

– A quoi tiennent ces différences?
– D’abord à la culture et aux habitudes qui changent d’un pays à l’autre. Mais surtout au niveau du système de santé. Car ce qui a fait le berceau d’Ebola, c’est la faiblesse, la fragilité du système de santé. C’est parce que le système de santé était extrêmement faible que l’épidémie s’est répandue avec une telle ampleur et rapidité. D’où l’importance de bien connaître le terrain. Enfin, il y a aussi des facteurs géographiques et de densité de la population qui favorise plus ou moins la diffusion d’une épidémie. Mais en fin de compte, pour moi, le message essentiel est que l’épidémie d’Ebola n’est pas encore terminée.

– Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées dans la lutte contre la maladie?
– Elles sont nombreuses. Mais d’abord, il faut savoir qu’Ebola est une maladie négligée et que sa connaissance était limitée. Ensuite, le taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 90% a provoqué une psychose majeure, ce qui a eu pour conséquence que peu de gens voulaient partir en Afrique. En gros, la communauté internationale a été très timide dans sa réaction. Cela dit, la Suisse, qui dispose de longue date d’une antenne humanitaire à Monrovia, a essayé d’être active et a débloqué plus de 20 millions pour lutter contre l’épidémie..

– Et les plus grands succès de cette bataille qui n’est pas finie?
– D’abord de voir des patients guéris! C’est déjà extraordinaire. Et puis savoir que des gens (notamment des personnels médicaux) ne sont pas tombés malades, grâce à l’efficacité des mesures prises. Ce sont de petits succès, mais ils sont importants. Et puis, voir que de petits projets aboutissent, comme celui de la production locale de solution hydroalcoolique. J’ose le dire, c’est un petit miracle!

– Les moments le plus dur pour vous?
– Retrouver les hôpitaux que je connais vidés de leurs patients à cause de la psychose. Et puis, voir des patients passés de la zone «cas supects» à la zone «cas confirmés». Ce sont des moments terribles, mais ils me donnent une volonté plus forte de me battre.

– Où en est la recherche?
– A l’heure actuelle, il, n’y a pas de traitement validé. Quant au vaccin, la recherche a progressé très vite, et les vaccins sont aujourd’hui en phase de test sur le terrain, notamment en Guinée. Mais le paradoxe, c’est qu’avec la baisse du nombre de cas, il est plus difficile de vérifier l’efficacité du vaccin sur le terrain. Il faut souligner le travail gigantesque effectué, notamment aux HUG sous la conduite de la professeur Claire-Anne Siegrist, sur un des vaccins d’origine canadienne. En moins de six mois, ils ont fait ce qui d’ordinaire nécessite plusieurs années, grâce à plus d’une centaine de volontaires auxquels on a inoculé le vaccin. Au CHUV de Lausanne, ils ont travaillé sur un autre vaccin.

– Les leçons de ce drame?
– Je dirais que les autorités locales ont fait face de leur mieux et avec leurs faibles moyens à une situation que personne ne connaissait et pour laquelle la communauté internationale s’est peu engagée. Cela dit, Ebola doit inspirer un énorme respect, mais ne doit pas nous paralyser. Une maladie infectieuse peut impacter une société dans son ensemble en termes de danger, d’alimentation, de protection, de nourriture. Mais, que ce soit après un tremblement de terre, un tsunami un conflit ou une épidémie, la vie reprend toujours ses droits, les femmes continuent à accoucher.

L’OMS a-t-elle exagéré ou minoré les risques?
– Il faut comprendre que l’épidémie a été totalement hors de contrôle et que personne ne pouvait en prédire l’évolution. On est toujours plus malin après qu’avant…

– Quand pourra-t-on dire qu’un pays est libéré d’Ebola («Ebola-free»)?
– La règle veut qu’il faille deux périodes d’incubation sans nouveaux cas. Pour Ebola, il faudra donc 2 fois 21 jours sans nouveaux cas pour décréter un pays «ebola free». C’est pour cela qui ne faut pas relâcher les efforts.

(24 heures)