Lettre d’un collectif de citoyens de Colibantan en colère

Colibantan : Notre école, l’école de la république est en faillite

Notre école, celle qui nous a vu grandir, l’école de la république El Hadji Fonsa Ly est en faillite. Elle n’assure plus sa mission républicaine : assurer l’éducation et la réussite des élèves de notre communauté. Avec 1 seul admis au CFEE et 4 admis à l’entrée en sixième sur un total de 51 élèves, notre école a décroché le bonnet d’âne du département et réduit à néant le « droit de nos enfants à bénéficier d’une éducation de qualité ». Une école pourtant censée les conduire sur le chemin de la réussite et participer au développement de leur communauté et de leur pays.  Et tout cela, 11 ans seulement après avoir été désignée meilleure école du département. Pourquoi une telle dégringolade ? A qui la faute ?

Notre communauté villageoise  est consternée. Dans l’histoire « éducative » du village, c’est une première. Sur les réseaux sociaux, les messages et les commentaires fleurissent pointant les responsables et les responsabilités. «  Avec un seul admis* au CFEE et 4 admis à l’entrée en sixième, l’école du village a enregistré les plus mauvais résultats depuis plus de 30 ans. « Cela nous ramène aux résultats des années 80, » constate un ancien élève diplômé de cette époque. « Tout cela, alors que le village bénéficie depuis 3 ans d’un collège de proximité ».

Moyenne nationale entrée en 6éme : 70% – Moyenne à Colibantan : 7%

Comment l’école de Colibantan a-t-elle bien pu plonger dans une telle « nullité », car c’est bien le mot qu’il convient d’employer avec de tels résultats. Alors que la moyenne d’accès à l’entrée en sixième est de 70% au Sénégal, la moyenne est de 7% à Colibantan. Comment expliquer un tel écart ? Et comment expliquer surtout que notre école – celle dont nous étions si fier-  soit passée du statut en 2004 de meilleure école du département à celui en 2015 du plus mauvais établissement. « Nous sommes plus de 40 étudiants issus de Colibantan à étudier actuellement à l’université avec des élèves d’excellence, qui à Gaston Berger à St-Louis, qui à l’école Polytechnique et d’autres mêmes en France grâce à leur très bon niveau », témoigne Souleymane, un étudiant de Colibantan. « C’est dire que notre village et l’école de notre village ont été des terreaux fertiles pour porter haut ses fils et ses filles du terroir. Mais avec les résultats de cette année, qui s’ajoutent aux résultats déjà pitoyables des années précédentes, nous sommes complètement abattus car ce sont nos petits frères et nos petites soeurs qui sont les victimes d’une école devenue totalement défaillante »

Les autorités académiques alertées depuis plusieurs années

Les villageois sont consternés par les résultats de l’école, mais aussi par la léthargie des autorités académiques. « Pourtant, nous avons alerté les autorités depuis plusieurs années », témoignent plusieurs responsables associatifs du village. A la rentrée 2013, nous avions même fait grève, refusant d’envoyer nos élèves à l’école car nous souhaitions le départ du directeur. » A l’époque, même le sous-préfet s’en était mêlé. *Selon le porte-parole de l’époque, la mauvaise gestion de l’école ainsi que la gestion solitaire de la cantine scolaire étaient les raisons parmi tant d’autres pour réclamer le départ du Directeur ». Mais les autorités académiques lui avaient renouvelé sa confiance et voilà le résultat ! « Pour Laurent, cadre sénégalais en retraite de l’Education nationale, ce que vit Colibantan n’est pas propre à Colibantan. « C’est malheureusement une situation qu’on retrouve dans beaucoup de villages « vulnérables ». Les populations peu instruites sont complexées et n’osent pas aller se confronter aux enseignants et aux responsables de l’école, et encore moins aux autorités (inspection…) pour dire ce qui ne va pas. Sur l’absence des autorités académiques, certains évoquent leur éloignement avec le terrain, des autorités confrontées elles-aussi à des problèmes de logistique et de moyens.

Absentéisme, retards, et « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais »

A l’école de Colibantan, en tous les cas, l’absentéisme ou le retard des enseignants est monnaie courante. Depuis des années, les villageois se sont habitués à voir les enfants revenir à la maison et errer dans les rues à l’heure où dans les autres écoles du Sénégal, les élèves sont en classe. « Mon enseignant n’est pas venu, il est malade, il a voyagé.. ». La liste des raisons invoquées sont nombreuses : baptêmes, mariages, décès, petites fatigues, salaire à récupérer à Tamba etc… Bref, autant de motifs accordés (ou pas) sans broncher et/ou sans contrôle par un directeur pourtant garant du bon fonctionnement de son établissement.

Les enseignants natifs du village et qui enseignent à Colibantan sont parmi les moins exemplaires comme l’attestent de nombreux témoins. Mais, personne n’ose en parler directement. Le sujet est tabou quand il s’agit d’enseignants issus du village. «  Comment former dans ces conditions des élèves rigoureux et leur donner envie d’apprendre si ceux-là mêmes dont c’est le métier et qui sont payés pour le faire se comportent dans le sens contraire », s’indignent des parents d’élèves un peu plus avertis. Tous ces griefs, une trentaine de chefs de famille ont enfin eu l’occasion de les exprimer en partie lors du « Forum de l’Education » organisé courant septembre à l’école du village. Le Directeur s’est dit « satisfait mais parfois surpris » d’entendre que les villageois se plaignaient des absences répétées de ses enseignants. Une réaction qui a profondément irrité les parents d’élèves se demandant si le directeur était bien le capitaine de son navire ou seulement spectateur d’un bateau en train de sombrer.

Manque de motivation et de formation des personnels ? 

Les absences répétées et la longue grève du début d’année (plus de 2 mois) particulièrement bien suivie à Colibantan ne peuvent à elles seules expliquer le fiasco et dédouaner l’Ecole El Hadji Fonsa Ly. Sinon, comment expliquer alors l’écart avec les autres écoles sénégalaises qui ont également fait grève et qui atteignent 70,14 % de passage en 6éme ? Dans le village, beaucoup lient cet échec de l’école et l’absentéisme  des enseignants avec le manque de motivation et d’investissement de ces enseignants. « A notre époque », témoigne Boucar étudiant issu du village, «  Les enseignants arrivaient très tôt le matin. Ils formaient des groupes de travail pour le travail à la maison. Et ils passaient la nuit dans les concessions pour voir si on travaillait. Malheur aux fainéants ! Cela nous encourageait à travailler davantage ». « On sentait que nos enseignants voulaient qu’on réussisse et cela nous donnait encore plus de volonté d’y arriver », confirme El Hadji, étudiant à l’UCAD. « On avait une bibliothéque gérée par notre enseignant et il nous a transmis cette passion de lire qui a contribué à notre réussite » témoigne Lamine Kemo, admis en cette année 2015 en Master de littérature dans une université française. Cette bibliothéque n’existe plus depuis plusieurs années : les enseignants ont laissés les livres se détériorer dans de vieux placards. « Les maitres que nous avons eu dans les années 1990 à 2000 nous ont tout donné  », conviennent les élèves de cette époque. « Aujourd’hui face à la crise que nous traversons, la formation, la motivation et l’implication des enseignants est une vraie question », constatent-ils. « L’école de Colibantan ne travaille pas avec les partenaires, elle se replie sur elle-même » rajoute Kalipha, responsable associatif,  qui déplore comme d’autres « l’absence de transparence et de travail de l’école avec les associations locales et les partenaires associés ».

Le point de vue du Directeur et des enseignants  

Face à toutes ces accusations, le Directeur de l’école et certains enseignants dégagent en touche. Ce n’est pas de leur faute. Ou si peu. Selon Mamadou Samoura (enseignant au CM2) joint au téléphone et Koban Ba (le directeur) cité dans article paru sur xibartamba*, la baisse du niveau des élèves est d’abord due à des facteurs extérieurs : comme la propagation rapide des sites d’apprentissage du Coran communément appelés « Madrasas » que la quasi-totalité des élèves fréquenteraient tous les jours de 15h00 à 17h00 et de 19h00 à 22h00. L’échec serait aussi du aussi au manque de suivi et d’encadrement des parents.

Le développement des écoles coraniques

Concernant le problème des écoles coraniques, la raison évoquée par le Directeur ” irrite ” certains habitants. Il est vrai que le sujet est sensible dans cette cité très religieuse. Mais l’objectivité et les faits obligent à dire que la pratique et la fréquentation des écoles coraniques s’est considérablement renforcée depuis plusieurs années Colibantan. Au détriment de l’école française ? Difficile à dire. Il n’est pas faux en tous les cas de constater que certains parents mettent beaucoup plus d’ardeur et de vigueur à envoyer leurs enfants à l’école coranique qu’à l’école française. Dommage à ce propos, que les marabouts et responsables des écoles coraniques n’aient pas été invités en tant que tel à participer au Forum sur l’Education. Les écoles coraniques et l’école française ont chacune leur place dans le village et une bonne intelligence et du dialogue devraient permettre aux uns et aux autres d’oeuvrer chacun dans leur domaines respectifs avec un seul objectif l’éducation et la réussite des enfants.

Le manque de suivi des parents

Concernant l’absence de suivi et l’encadrement des parents, le constat est également pertinent. Avec ses 200 hommes partis à l’émigration, l’absence des papas dans les concessions  est une réalité. Et les mamans illettrées pour la plupart, sont souvent dépassées par les enjeux de l’éducation et le suivi scolaire des enfants. Mais la conscientisation ne serait-elle pas meilleure si les enseignants parcouraient davantage – comme ils le faisaient encore il y a 10 ans- les maisons pour surveiller les devoirs des enfants et ce faisant dialoguer avec leurs parents. Car cet éloignement de l’école du village, des enseignants avec les populations et les parents d’élèves n’est -pour beaucoup d’observateurs- que la conséquence d’une politique menée par le Directeur, qui délibérément depuis 10 ans s’est coupé des associations villageoises et de ces habitants. « Le fonctionnement de l’école est tout sauf transparent », témoigne Kalipha, Président de l’AVED. Et qui regrette l’époque où l’AVED travaillait de concert avec l’école. « L’école communale ne devrait pas être la propriété du Directeur, mais un bien commun associant toute la communauté », poursuit Kalipha.

Des moyens financiers, mais quel avenir pour l’école ? Et pour l’Education au village ? 

Alors que l’école El Hadji Fonsa Ly n’a jamais bénéficié d’autant de moyens financiers, avec des dotations annuelles de plus de 471 000 fcfa dans le cadre du contrat d’amélioration de la qualité des apprentissages.  Sans parler du partenariat avec Le Rotary Club Alizé Dakar qui a financé 1 salle de classe, des tables bancs mais aussi des fournitures scolaires, les populations sont en droit de se demander à quoi sert cet argent. Et pourquoi, malgré les efforts et les soutiens de l’Etat, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Des questions qui restent sans réponse de la part de l’Ecole, faute de transparence. Du côté de l’Association des Parents d’Eléves et de son Président Alakaly Sao, censé défendre les intérêts des élèves et des parents, peu d’informations et un silence radio également qui suscite beaucoup de questions. Tout comme l’absence de réaction de la population quand la case des tous-petits a disparu en 2013 après plusieurs années d’existence, laissant sur le carreau plus de 150 enfants. Bref, Quid de l’Education à Colibantan ? Et Quid des 47 élèves de CM2 privés de collège ? Espérons que l’école de la République leur donnera à tous une nouvelle chance de poursuivre leur droit et leur rêve d’éducation.

* (article paru le 15 décembre 2014 sur le site xibartambacounda et rédigé par Mamoudou Samoura.)

 Article rédigé par Moussa Athie au nom du collectif de Colibantan