À la découverte du village de Bantakon, à quelques kilomètres de Kédougou: Une vie réduite entre l’or, l’argent, l’alcool et le sexe

 

 

Ces cinq dernières années ont été marquées par une croissance assez soutenue, grâce à la découverte des gisements d’or dans la région naturelle du Boundou. Un gisement dénommé « filon », assez long, allant de la frontière du Mali et entrant au Sénégal par le Sud-Est, a été découvert par des études géologiques. Conséquences directes : des villages se forment et accueillent une ruée d’étrangers et de nationaux, vers les gisements dissimulés dans la grande forêt de la région de Kédougou et environs, à la recherche de pépites. Bantakon fait partie de ces  villages. Situé à une vingtaine de kilomètres de Kédougou, il apparait comme le plus accessible et le moins éloigné des sites de gisements de la ville. Un tour dans Bantakon…

 

Un village insoupçonné, caché derrière les arbres

Sous un soleil d’aplomb et malgré les travaux de bitumage de route, effectués sur la route nationale menant à Kédougou-Ville, nous nous entêtons quand même à infiltrer ce milieu rustique de Bantakon. La petite ruelle se dresse à droite du goudron, sur l’axe Kédougou-Tamba. Le visiteur qui vient pour la première fois dans ces endroits ne peut soupçonner le monde qui se cache derrière ces hauts arbres et broussailles jaunis par ce soleil de février. Aucune indication de route, aucun signe de vie. Tout semble calme et paisible. Et pourtant, Bantakon se situe à quelques 5 kilomètres de là, niché sur une grande place et assis sur un gisement d’or. Une route en latérite, parsemée de gros cailloux rouges jonchent le chemin.

Après une demi-heure de route, place à une clairière qui laisse entrevoir des voitures sept places,  premiers signes de présence humaine sur ces terres. En effet, les incessants va-et-vient vers la civilisation font que ce bout de village dispose de son propre parc automobile constitué essentiellement de  transports en commun 7 places, mais aussi et surtout de « Jarkata », gros motos chinois qui peuvent sillonner aisément entre les dédales glissantes formées par la boue. De part et d’autre, on voit des habitations, pour ne pas dire des cases moyennes, parfois couvertes par des bâches bleues pour se protéger de la pluie pendant l’hivernage. Plus loin encore, des maisons en banco, construites avec des zincs, forment les différentes cantines du marché.

Ambiance normale de village

Oui. Un marché est bien campé avec ses boutiques, restaurants, « tangana », un bar et même… un salon de coiffure. « Djiké Diama » reçoit, en effet, les femmes qui veulent se tresser et surtout se faire belle pour le grand bonheur de leur copain ou ami (e) du coin. « 1000 francs et le tour est joué », nous renseigne une belle nymphe, restauratrice depuis quelques années sur ces lieux. Devant les petites cases, des bancs et ustensiles de cuisine trainent à longueur de journée. Le moyen de transport le plus répandu reste quand même le vélo. Presque chaque case en dispose. Le linge bien lavé est étalé soit à même le sol soit sur le toit en paille des petites habitations. Derrière la demeure, un petit trou qui sert de toilette est aménagé par les occupants de la maison et est minutieusement entouré par de hautes herbes. Toujours dans le coin, un air de salsa se répand et la musique envahit les environs. « La musica, en vérité la musica » du groupe Africando. Eh oui ! Après le travail, les travailleurs se prélassent dans divers endroits et consomment tranquillement l’alcool, dans une ambiance de fête et en bonne compagnie.

En route vers les sites d’extraction de l’or

Sur un sentier cahoteux et surtout glissant, à quelques 2 kilomètres après le village, un peu plus au sud, s’alignent des puits, dans un désordre total, tel un champ d’arachide qui a reçu une visite surprise de rongeurs… À perte de vue, les placements se suivent et se ressemblent. Des tas de sables, recueillis dans les puits, sont disposés pêle-mêle sur les lieux. Un grand aller au centre sert de chemin sinueux pour accéder aux autres sites, plus éloignés. De l’eau, d’une couleur très blanche, y coule et traverse les différents puits pour se retrouver plus bas. « Ces eaux proviennent des puits. Après une bonne profondeur, les creuseurs rencontrent soit de l’eau ou des rochers. L’eau est ensuite rejetée au dehors par des fûts remplis que ces braves femmes déversent comme ça », renseigne Mbaye, un habitué des lieux.

De part et d’autre, des étales servent de restaurant ou plutôt, de lieu de restauration. De grandes bassines contenant du riz blanc, principal aliment dans la zone, sont exhibées sur la table, avec de la sauce, des haricots bouillis, de l’eau potable (…) Non loin de là, des artisans, plus précisément des forgerons,  tirent aussi leur part du butin. Ils confectionnent des outils pour creuser. À l’aide de bois trouvé non loin de là, ils placent des lames soit en forme de pics soit en forme de hache. « Le commerce marche bien. Nous vendons raisonnablement deux à trois outils par jour », reconnaît ce vieux, assis à même le sol, en train de polir du fer.

Le puits en question

Enfin ! C’est un trou avec un diamètre d’un mètre et une profondeur qui varie. « La profondeur dépend de l’endroit où se trouvent les minerais, susceptibles de contenir les pépites d’or. Ça peut aller jusqu’à quarante mètres en dessous, pour ceux qui ont les moyens d’y aller. Tout dépend. Mais celui-ci, c’est un puits de huit mètres », nous confie celui qui semble être le chef des travaux. Ils sont cinq à huit personnes à creuser et extraire les minerais, pour ensuite les empiler dans des sacs  à longueur de journée. Le nom  « Daman » est spécialement utilisé pour désigner ces puits, dans leur langue locale.

Étape finale de recherche du métal précieux

Le sable ou minerai extrait de ces puits est acheminé vers le village, dans des sacs, pour ensuite procéder au concassage et au tamisage. C’est ce sable qui sera réduit en poudre et étalé sur un tobogan, sur lequel est tapie une moquette. Les pépites seront accrochées sur la moquette et ensuite recueillies à l’eau claire. Intervient alors le mercure, substance toxique et très dangereux pour la santé des populations. Ce mercure sert à faire la séparation et l’extraction de l’or. Mélangé avec le minerai, il sera ensuite malaxé pour bien mélanger les deux corps. L’ensemble du mélange sera versé dans un bout de chiffon puis tordu, pour obliger le mercure à sortir à travers le bout de tissu. Une boule blanche, mélange d’or et de mercure, reste dans le chiffon. Fondu, le mercure s’évapore finalement pour laisser la place à l’or brut.

Écoulement du produit

Ils sont plus d’un millier de personnes à vivre, de près ou de loin, de cet or enfoui dans ce sol de Bantakon. Ils sont, pour la plupart, des étrangers venant des deux Guinées, de la Gambie, du Burkina, des Maliens et Sierra-Léonais, sans compter une infime partie de la population locale.  En effet, les pays limitrophes du Sénégal ont fait le déplacement et se sont sédentarisées dans cette forêt où les conditions de vie et de travail sont plus précaires. Et pourtant, chaque jour, ils s‘adonnent avec joie à cette pratique devenue un bon métier pour eux. « On travaille chaque jour sauf le lundi et le vendredi. Ce sont nos jours de repos ici », commence Bakary, un burkinabé établi sur ces terres, depuis plus d’un an. Avec le produit qu’ils arrivent à écouler à 8 500 francs le gramme, ils parviennent à vivre au jour le jour, se vêtant et se nourrissant avec. « Tout le reste de l’argent récolté sera acheminé à nos parents restés au pays. » Mais bien avant tout cela, tout l’argent qu’ils gagnent, ces jeunes hommes, à la fleur de l’âge, se paient d’abord l’incontournable moto chinoise, appelée « jakarta », unique moyen de transport rapide entre les sinueuses ruelles, boueuses parfois…  Ainsi va la vie à Bantakon, village minier, comme tous les autres villages miniers d’ailleurs. Une vie réduite entre l’or, l’argent, le sexe et l’alcool…

Papis Ndimbaly Barro / rwmi.com /