
Avec ses riches potentialités (beaux paysages, sites et vestiges historiques, variété culturelle, etc.), Kédougou représente un vivier touristique extraordinaire. Ce secteur dispose de presque tous les arguments pour séduire et jouer son rôle de levier de développement, mais reste confronté à de nombreuses contraintes. Aujourd’hui, Kédougou a envie de se faire voir dans le monde, et les acteurs espèrent qu’avec le financement des projets retenus dans le pôle Sénégal oriental, le tourisme sera la rampe de l’économie de cette région.
Avec ses charmes incommensurables, la région de Kédougou constitue une réserve de potentialités touristiques riches et variées. Rien que d’évoquer cette localité, on pense à sa splendeur et sa beauté naturelle, ses principaux cours d’eau, mais aussi au parc national Niokola Koba qui constitue un véritable bastion de la faune et de la flore. Kédougou, ce sont aussi de belles cascades de Dindefelo, celles de Ségou, du nom de la célèbre ville malienne classée patrimoine mondial de l’Humanité, mais aussi les chutes du village de Lombel qui nourrissent tous les rêves de vacances et d’évasion. Kédougou, c’est aussi un lieu enrichissant pour connaître le patrimoine culturel de cette région si atypique. L’authenticité de la culture des minorités ethniques constitue l’un des grands charmes de cette région. Leurs mœurs et coutumes ainsi que les différentes fêtes traditionnelles comme l’initiation chez les Bassari ou les Bedik permettent de passer d’agréables moments à partager ensemble.
Mais, telle une affriolante jouvencelle enchaînée par la poisse, ce paradis peine à aguicher ses soupirants. Malgré tous les arguments dont il dispose pour jouer les premiers rôles, le tourisme est toujours à la traîne.
La situation pour les deux dernières années était difficile compte tenu de la guerre au Mali, et de la maladie à virus Ebola. Selon le chef du service Tourisme des régions de Tambacounda et Kédougou, ces deux événements, ajoutés à la crise au niveau international, ont handicapé le tourisme. Jean Pierre Ndecky demeure toutefois optimiste pour l’année 2016. « L’espoir est là puisque la paix s’est aujourd’hui installée et la maladie à virus Ebola est maîtrisée selon l’Oms. Les différents promoteurs détenteurs d’établissements touristiques ont assuré que leurs chiffres d’affaires commencent à augmenter », a fait remarquer M. Ndecky.
Une destination très mal vendue
Pour autant, Kédougou a toujours du mal à se faire voir dans le monde. Un paradoxe, si l’on sait que cette région dispose d’atouts très importants. Entre autres griefs, les acteurs ont soulevé l’enclavement de la région et l’insuffisance des infrastructures touristiques, l’absence d’une politique de promotion de la destination Kédougou, l’absence d’une liaison aérienne régulière et l’impraticabilité des pistes du parc national Niokolo Koba pendant la saison des pluies, la faiblesse de l’environnement financier et du cadre institutionnel, etc. A en croire Abdoulaye Cissokho, président du Syndicat d’initiative de Kédougou, la région est tellement enclavée que le tourisme a des difficultés pour marcher. « Cela est dû à la difficulté d’accéder aux zones touristiques, aux problèmes de transport, mais aussi au manque de réceptifs dignes de ce nom ». « À Kédougou, il n’y a pas les infrastructures qu’il faut. Le potentiel hôtelier est essentiellement composé de campements qui poussent, depuis quelques années, comme des champignons. Il y a tellement de clandestins que c’est devenu une source de difficultés. Ça pose problème », a indiqué M. Cissokho.
Pour le chef de service du tourisme, certains de ces établissements implantés à Kédougou n’ont pas encore l’agrément, mais sont régulièrement contrôlés par ses services. Ces établissements, a soutenu M. Ndecky, souffrent d’une absence d’accompagnement par les banques. « Avec le crédit hôtelier que le président de la République, Macky Sall, a mis en place pour aider ces établissements touristiques à offrir un bon service, la donne va changer. Si ces établissements qui sont au niveau des villages et qui n’offrent pas un très grand confort en bénéficient, cela leur permettra de relever le plateau technique et l’offre au niveau de cette région ». Un pays ne représente une destination intéressante pour des habitants d’autres pays que si une promotion est faite autour de ses potentialités et de ses richesses. Mais pour les acteurs du tourisme de Kédougou, la destination est très mal vendue. « Malgré les énormes potentialités touristiques que possède la région, la promotion de la destination est quasi inexistante, sinon timide », a indiqué Abdoulaye Cissokho, président du syndicat d’initiative de Kédougou. « Pour la destination, l’agence n’a pas encore mis sa main à la poche. Quand nous parlons de tourisme, Kédougou est plus visible, mais la promotion est moribonde. Nous avons fait des appels, sommes allés à la rencontre de l’agence, mais rien. Le manque à gagner est énorme. Aujourd’hui, si les touristes veulent venir et que toutes les dispositions ne sont pas réunies, ça pose problème ». Il a insisté sur la nécessité de mener des campagnes d’information auprès des tours opérateurs pour faire connaître davantage les atouts que recèle cette partie orientale du pays.
Un service du tourisme trop éloigné
M. Ndecky reconnaît que les acteurs se plaignent souvent du manque d’agressivité de la promotion de la destination Sénégal oriental. « Ce qu’ils auraient souhaité, c’est que pendant les salons, au niveau international, qu’un représentant de la zone puisse participer pour vendre les potentialités du pôle Tambacounda et Kédougou », a noté M. Ndecky, non sans préciser que le syndicat d’initiative de Kédougou, à l’image de celle de Tambacounda, souffre d’un problème de financement. « Depuis quelques années, la subvention que l’agence sénégalaise de la promotion touristique les octroyait n’arrive plus. C’est avec ces montants qu’ils faisaient la promotion au niveau local, et éventuellement au niveau international lors des salons », a soutenu le chef du service régional du tourisme, non sans préciser que la destination mérite d’être très bien vendue pour que le secteur puisse jouer son rôle de locomotive de l’économie.
Le paradoxe relevé par les acteurs, c’est le fait que l’inspecteur du tourisme ait son siège à Tambacounda, à plus de 250 km de Kédougou. Ce qui fait, selon Mark Keïta, qu’il n’est pas trop présent à leurs côtés. Selon ce guide, spécialiste du pays Bedik, le patron du tourisme devrait être constamment à leur chevet pour les accompagner. Le président du syndicat d’initiative de Kédougou est du même avis. « Nous avons un manque de conseil du fait de l’éloignement de l’inspecteur du tourisme, qui ne vient qu’une fois par mois à Kédougou. De plus, il n’a même pas les moyens pour rallier Kédougou puisqu’il n’a pas de véhicule. Il voyage en transport en commun. C’est un gros handicap pour nous les acteurs qui avons besoin d’encadrement, d’accompagnement. Nous avons besoin d’un inspecteur qui est sur place », a soutenu Abdoulaye Cissokho.
Pour M. Ndecky, il n’y a pas de péril en la demeure. « Le ministère du Tourisme raisonne en pôle économique. Tambacounda et Kédougou constituent un pôle avec un seul chef de service régional ». Mais de l’avis de M. Ndecky, le seul hic qui handicape sa présence permanente à Kédougou, c’est le problème de véhicule qu’il n’a plus pas depuis deux années maintenant. Toutefois, a-t-il souligné, les acteurs ne devraient pas en pâtir, surtout avec le développement des moyens de communication qui lui permettent de régler certaines questions qui ne nécessitent pas un déplacement.
Des solutions durables
Malgré les nombreuses contraintes, le tourisme a un avenir radieux, si toutefois les nombreux problèmes qui empêchent son développement sont résolus. Des solutions qui pourraient aider la partie orientale du pays à valoriser son fabuleux potentiel touristique et à se positionner comme le premier et plus grand pôle touristique du Sénégal. « Quand on parle de tourisme, c’est un déplacement d’un site à un autre. Tambacounda est distant de Dakar de 461 km. Avec l’état des routes, il faut six heures avec un bon véhicule. Il urge donc d’avoir une desserte avec des prix compétitifs qui permettraient de voyager facilement. Nous n’avons pas une côte maritime, mais le train est là. Nous souhaitons que l’État travaille à remettre le train sur les rails. Tamba aurait plusieurs moyens d’accès (avion, route, train) ; ce qui permettrait de réduire la distance », a-t-il relevé, précisant développer et améliorer les infrastructures routières et aéroportuaires. « Salémata qui est le cœur du pays Bassari, là où les touristes sont pressés d’aller quand ils viennent à Kédougou pour vivre avec ce peuple, découvrir leur culture centenaire, est difficile d’accès », a-t-il indiqué.
Léontine Kéïta, gérante d’un campement à Bandafassi, est du même avis. Selon elle, le développement d’infrastructures routières doit être une priorité. « Des touristes qui voulaient visiter le Pays Bassari ont mis 19 heures pour y arriver. C’est une vraie galère qui tend à décourager. Les routes ne sont pas bonnes et les gens ne peuvent pas venir avec des voitures de transport. Même les agences qui ont des pick-up ont des difficultés pour accéder au Pays Bassari », a-t-il relevé. Et d’ajouter : « tous ceux qui passent ici sont très contents de découvrir l’ethnie Bedik, les Bassari et autres et je reste persuadée que dès qu’il y aura la bonne route, il y aura beaucoup de gens et le tourisme ne s’en portera que mieux ». Développer ce tourisme, selon M. Ndecky, c’est aider les professionnels à avoir les moyens pour relever l’offre. « Il y a certains acteurs qui n’ont aucune formation. Il faut renforcer leurs capacités pour qu’ils puissent offrir des services à la hauteur des attentes des clients ».
Un mariage tourisme et culture !
Pour M. Ndecky, le Sénégal oriental est une région culturelle, mais, a-t-il souligné, cette culture ne sert pas pour le moment au tourisme. « Les festivals doivent être inscrits dans un agenda et l’agence pourrait exporter ces évènements et les vendre au niveau des pays émetteurs. Si on parvient à avoir tout ça, nous pouvons souffler un tout petit peu, car les conditions seront réunies pour développer le secteur », a-t-il assuré. Le duo du tourisme et de la culture devrait être un puissant moteur économique à Kédougou où une grande partie de l’activité touristique dépend de la culture. Beaucoup de touristes viennent dans cette région pour découvrir la culture de l’autre et permet à l’autre d’apprécier les différences culturelles. Pour Youssouf Diatta, directeur du centre culturel régional, on ne peut pas parler de tourisme sans culture et vice-versa. « Le contenu touristique, il est culturel. L’idée, c’est de booster la culture pour que ça puisse répercuter sur le tourisme. Cette année, on va déplacer 20 danseurs bassari et djallonké en Europe sur plusieurs scènes. Cette démarche va impacter sur le tourisme et c’est notre plus grand souhait », a-t-il fait savoir, non sans préciser que le tourisme culturel est souvent considéré comme un moyen de mettre en valeur la conservation du patrimoine. Et ce type de tourisme est essentiellement exploité à travers des manifestations culturelles, surtout des cérémonies initiatiques des Bassari ou Bedik. Selon M. Diatta, cette synergie entre tourisme et culture est considérée comme l’une des principales raisons incitant à favoriser le renforcement des liens directs entre ces deux composantes. Pour M. Ndecky, culture et tourisme doivent aller de pair. « Nous avons, au niveau de la culture, de fortes potentialités, surtout avec les ethnies minoritaires, le pays Bassari, inscrit dans le patrimoine mondial. C’est quelque chose qui intéresse vraiment les touristes qui viennent au Sénégal oriental ».
En dehors de la culture, c’est l’environnement qui intéresse plus les touristes, donc le parc national Niokolo Koba. « Depuis quelques années, le parc national est placé sur la liste rouge du patrimoine en péril ; ce qui fait que depuis certains temps, le nombre d’entrées diminue, l’attraction aussi », a noté M. Ndecky. « Les touristes, malgré les difficultés de voir les espèces, continuent toujours à venir. Pour changer la donne, l’État qui fait beaucoup d’effort, dit penser à repeupler ce parc, car c’est un pan du tourisme qui risque de s’envoler si les moyens ne sont pas mis pour réhabiliter ce patrimoine », a soutenu M. Ndecky. Il s’y ajoute, selon M. Ndecky, l’inaccessibilité de certains sites merveilleux comme le mont Assirik, le Doumania, mais aussi l’envahissement des mares par les herbes rampantes qui empêchent les animaux de s’abreuver. « Ce que nous demandons à l’État, c’est permettre l’accès à ces zones touristiques, qui aiderait au développement de ce secteur qui est le deuxième secteur de l’économie au niveau national ».
Les acteurs de Kédougou lancent un cri du cœur. En plus du désenclavement par la route entre Kédougou et les points touristiques, ils ont invité l’État à soutenir davantage le secteur de devenir la locomotive de l’économie régionale.
Par Samba Oumar FALL (textes) et Mbacké BA (photos) / lesoleil.sn /