Bakel : le pavillon René Caillé, un site plein de symboles mais en ruine.

Le site historique qui porte le nom du célèbre navigateur français, qui y avait séjourné, est véritablement en ruine et n’attire plus. Pis, les bâtiments servent aujourd’hui de dortoir à de rachitiques animaux domestiques errant dans la ville et menacent de s’effondrer si aucune œuvre de réhabilitation n’est entreprise et cela, dans les plus brefs délais.

Le président du conseil départemental de Bakel, Ibrahima Diallo dit Demba Kâ, a sans doute raison d’appuyer sur la sonnette d’alarme. Les sites historiques qui sont dans sa localité sont en pleine désuétude et la plupart d’entre eux risquent d’être rayés de la carte des sites historiques du pays. Et cela, fulmine Abdoulaye Diallo, professeur d’histoire et de géographie détaché à l’inspection de l’éducation et de la formation de Bakel, « risque d’effacer l’histoire de la ville et une partie de l’histoire du pays et cela, au grand dam des générations actuelles et à venir. Le pavillon René Caillé rendu célèbre grâce au séjour qu’y a effectué le navigateur français du même nom, René Caillé, tombé malade lors de son voyage au Soudan français, actuel Mali, est très mal en point en ce moment et les trois  tours,  eux aussi ,souffrent terriblement de leur manque de réhabilitation.

« Le pavillon René Caillé mérite d’être protégé et sauvegardé. C’est un patrimoine national car, il est témoin de l’histoire et du temps et représente un véritable symbole. Il porte le nom du célèbre navigateur français René Caillé mais n’a pas été construit par ce dernier », précise Mr Diallo qui faisait office de guide et de conteur. Abdoulaye Diallo raconte, « le bâtiment a été construit bien avant le passage de René Caillé dans la zone. Il était destiné à l’hébergement des malades venus du Soudan français à qui il servait de point de chute. Ils y recevaient des soins. C’est à cette fin qu’il a été construit ».Le président du conseil départemental de poursuivre, « René Caillé lui-même y a séjourné en tant que malade venu du Soudan lorsqu’il devait se rendre à Tombouctou. C’est lors de son séjour au Soudan français actuel Mali qu’il est tombé malade et évacué au Sénégal, à Bakel dans le « Pavillon » qui a fini par porter son nom ».

Comment le pavillon a porté le nom du navigateur.

Toujours dans les récits d’Abdoulaye Diallo qui aujourd’hui fait office de mémoire vivante, « si le pavillon a porté le nom de René Caillé, c’est parce que tous les autres sites de la localité avaient trouvé des parrains. La tour construite au Sud de la ville a été baptisé du nom du commandant Brui, celle érigée dans l’actuel quartier de Grimpalé baptisé du nom du commandant Desséné, le Ford de Bakel porte le nom du gouverneur Louis Faidherbe et c’est ce qui avait moussé les populations d’alors, de donner le nom de René Caillé au pavillon.

Un lieu d’enseignement.

« Le pavillon René Caillé n’a pas seulement servi de lieu de rapatriement de malades venus du Soudan français. Il a aussi été un lieu d’enseignement et d’éducation », informe le professeur Diallo. « Le pavillon a aussi abrité les premiers cours des adultes dans la localité. Au départ, ils étaient juste une dizaine d’adultes et les cours se faisaient dans l’enceinte du Ford qui abrite aujourd’hui la préfecture, c’était vers les années 1919-1920. C’est quand le nombre a commencé à grandir que les cours ont été transférés au niveau du pavillon. Les enseignements ne se faisaient pas à l’intérieur du pavillon mais juste à côté , c’était une manière pour les colons de pouvoir superviser la zone et l’intérieur comme l’extérieur de la ville car, le pavillon est situé en altitude et qu’El Hadji Omar menaçait d’attaquer les habitants dans le cadre de l’islamisation qu’il s’était fixé comme objectif. Les adultes formés par les colons servaient de collecteurs des impôts pour les colons français dans les villages de Ndiayega, de Modinkané et de Grimpalé qui existaient dans la zone en son temps ».

Le pavillon, base arrière des soldats sénégalais.

« Outre le rôle déterminant qu’a joué le pavillon dans l’enseignement des adultes et le rapatriement des personnes malades venues du Soudan Français, il a aussi servi de base arrière aux soldats sénégalais en mission dans la zone. En 1989, lors des événements survenus entre notre pays et la Mauritanie, le pavillon avait logé les soldats sénégalais à qui il servait de tour de contrôle. Du haut du pavillon, les diambars avait les yeux rivés sur l’ennemi parqués de l’autre côté de la rive en territoire mauritanien. Ils n’avaient même pas besoin de loupes ou de jumelles, pour voir le moindre mouvement de l’ennemi. Grâce à l’emplacement du pavillon situé en pleine altitude, les diambars avaient une position favorable pour détecter le moindre geste de l’ennemi », explique le professeur chargé de nous retracer l’histoire du pavillon. Il continue en précisant que la plupart des réfugiés venant de la Mauritanie pendant les années de guerre ont été logés dans le pavillon.

En 1997, le site a été érigé en centre de lecture par Abdoukhadre Tandian, en collaboration avec la mairie et grâce à l’accompagnement de la France. Aujourd’hui, se désole Mr Diallo, » le pavillon est complètement en ruine parce que délaissé et mal considéré par les autorités locales comme étatiques. Il ne mérite pas cela car, il renferme une bonne partie de l’histoire du pays. Au même titre que Gorée et Saint-Louis, il mérite d’être revalorisé et reconsidéré » car, soutient-t-il convaincu comme Alain Foka que, « nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple car, un peuple sans histoire est un monde sans âme ». Les 25 et 26 avril dernier, il a été initié une journée dédiée au patrimoine malgré la modicité des moyens alloués à cet effet. « Dorénavant, il va être inscrit dans l’agenda culturel de la ville, la journée du patrimoine de Bakel quel que soit ce que cela coutera. Si les gens s’intéressent aujourd’hui à St Louis et à Gorée, c’est parce qu’ils ont des sites historiques que les populations aiment visiter et qui intéressent l’humanité toute entière. Les sites historiques de Bakel comme le pavillon René Caillé, les tours, le cimetière des circoncis, le cimetière des colons, entre autres sites, doivent être réhabilités et reconsidérés pour mieux attirer les visiteurs. Ils doivent aussi être enseignés dans les écoles pour que les jeunes du pays sachent leur histoire, les faits et sites marquants. La France elle aussi n’a pas le droit de regarder s’effondrer ces monuments et sites grâce à qui elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Ce sont ses braves fils enterrés ici dans le cimetière des colons qui ont su planter partout son drapeau en Afrique, au prix de leurs vies. Ils ne doivent pas être publiés et abandonnés d’où l’urgence pour la France de réhabiliter ces sites en ruine et qui menacent de s’effondrer. Les tours comme le pavillon et le Ford appartiennent tous à la France qui les a construits. Elle doit aujourd’hui repenser à ces bâtiments tout comme l’Etat sénégalais. D’ailleurs, il est inscrit dans le programme des collèges en instruction civique (IC), le patrimoine.. Beaucoup de citoyens ne connaissent rien du pavillon René Caillé, nombreux sont encore sont ceux-là qui ne l’ont jamais visité et pourtant, ce sont des lieux pleins de symboles et d’enseignements », martèle le professeur d’histoire et de géographie qui prie avec insistance pour que la réhabilitation de ce patrimoine soit inscrite en priorité dans l’agenda culturel du pays, d’autant plus que ces sites et bâtiments pourraient grandement contribuer à la relance du tourisme dans le département de Bakel où le secteur est presque à l’agonie pour ne pas dire mort.

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Abdoulaye FALL / www.tambacounda.info /