La révolution fantasmée (Par Adama Ndiaye)

« Il faut vraiment être un canidé alcoolique sans cervelle pour nous menacer au pouvoir. »
« Il urge d’effacer le système. »
« Il faut un nettoyage dans la justice. »
Ces propos ne sont pas extraits d’un numéro du Völkischer Beobachter, le journal de propagande de Goebbels, ni tirés des diatribes d’un leader khmer rouge. Ils ont été prononcés par des figures politiques sénégalaises en vue : Waly Diouf Bodiang, Dame Mbodj et le député Cheikh Thioro Mbacké. Depuis l’allocution du Premier ministre Ousmane Sonko au King Fahd Palace, lors du conseil politique de PASTEF le 15 mars 2024, une frange radicale du parti rivalise de surenchères verbales, réclamant des purges publiques. Sont dans leur viseur les caciques de l’ancien régime, des magistrats, et même des membres du gouvernement soupçonnés de tiédeur, voire le président Bassirou Diomaye Faye lui-même, dont le modérantisme semble exaspérer l’aile la plus extrême de son camp. Une rhétorique de haine ordinaire qui, à force de se banaliser, ne semble plus choquer grand monde, comme si les mots avaient perdu leur poids.
Nombre de leaders de PASTEF – sans généraliser, évitons l’amalgame – se proclament « révolutionnaires ». Ils martèlent que leur accession au pouvoir constitue une « révolution ». Pourtant, le Larousse définit ce terme comme un « changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d’un État, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir ». Or, sauf erreur de ma part, Bassirou Diomaye Faye a triomphé lors d’une élection démocratique exemplaire, marquée par une campagne éclair de dix jours et une victoire inédite au premier tour. La passation de pouvoir s’est déroulée dans une solennité cordiale, bien loin des tumultes des révolutions américaine, française ou russe. À moins d’inventer le concept de « révolution par consentement », il faut se rendre à l’évidence : nous sommes face à une conquête électorale sur fond de discours antisystème, pas à une rupture violente.
Malgré ces faits incontestables, certains cadres de PASTEF s’autoproclament révolutionnaires. Ils adoptent la rhétorique enfiévrée des révolutionnaires russes ou français. Comme eux, ils se lancent dans une croisade autoproclamée des « gens de bien », rêvant de faire table rase du passé, du moins dans leurs discours. Victor Hugo, dans Quatrevingt-treize, mettait en garde contre cette ivresse destructrice : « La révolution est une tempête. Malheur à ceux qui s’y laissent emporter sans boussole ! » Cette furia verbale, pour l’heure contenue par des digues institutionnelles, menace de fragiliser la démocratie. Ces entrepreneurs de la démesure, animés par un hubris révolutionnaire, ne désarmeront pas dans leur entreprise de sape. Céder à leurs sirènes serait une capitulation : rupture oui, justice oui ; vengeance aveugle non, épuration ou purge à tout va non.
La vigilance s’impose pour préserver l’élan démocratique qui a porté ce pouvoir, sans le laisser sombrer dans les excès d’une révolution fantasmée.