Mouhamadou Dia (Expert financier): «La note de Moody’s signifie qu’il y a un risque grandissant que le gouvernement ne puisse stabiliser…»

 

 

 

Expert financier, Mouhamadou Dia décortique ici la dernière notation de notre pays par Moody’s qui fait polémique. Il en décline les conséquences possibles, et éclaire sur des mesures qui pourraient aider les autorités actuelles. L’expert financier a aussi évoqué la communication musclée de l’Etat du Sénégal contre Moody’s.

Déjà, en langage plus simple, que signifie la dernière notation infligée au Sénégal par Moody’s ?

Moody’s utilise un système de notation par lettres pour classer la dette, de la plus sûre à la plus risquée. Ces notes affectent tout, des taux d’intérêt à la capacité d’un pays ou d’une entreprise à emprunter de l’argent : Aaa, Aa, A, Baa (risque faible à modéré) ; Ba, B, Caa, Ca, C (risque plus élevé).

Pour le cas du Sénégal, nous sommes allés de B3 à Caa, ce qui veut dire que nos obligations sont spéculatives de qualité médiocre et comportent un risque de crédit très élevé. Il est utile d’ajouter cette information de Moody’s : « Moody’s ajoute des modificateurs numériques 1, 2 et 3 à chaque classification de notation générique de Aa à Caa. Le modificateur 1 indique que l’obligation se situe dans la partie supérieure de sa catégorie de notation générique ; le modificateur 2 indique un classement intermédiaire ; et le modificateur 3 indique un classement dans la partie inférieure de cette catégorie de notation générique ».

Que veut dire tout cela ?

Ce que cela signifie en terme plus simple, c’est qu’il y a un risque grandissant que le gouvernement ne puisse stabiliser la situation d’endettement sans restructuration de la dette. On devait s’y attendre, car d’habitude quand Moody’s dégrade la note d’un pays, cela est suivi par une autre dégradation à court ou moyen terme citant que les perspectives de la nouvelle note sont négatives.

Il convient de souligner que la situation actuelle du Sénégal résulte des actions du régime précédent. L’ancien président, après avoir assaini les finances publiques et réduit le déficit budgétaire au cours des deux premières années, s’est engagé dans un programme d’infrastructures dépourvu de retour sur investissement. Certaines initiatives peuvent revêtir une finalité sociale, toutefois la plupart des projets ne devraient pas en avoir, puisqu’il s’agit avant tout de prêts devant être remboursés. Le régime de Sall, s’étant lourdement endetté, ne prévoyait pas de traverser des crises au cours du second mandat, ce qui a marqué le début des difficultés. Le Sénégal s’était considérablement surendetté, ce qui imposait de faire face à diverses crises. Il n’existait aucune autre option que de dissimuler certaines dettes afin de pouvoir contracter de nouveaux emprunts sur le marché international. Une situation d’une grande désorganisation. Le préjudice est désormais consommé et il incombera à l’État d’accepter certaines conditions afin de pouvoir se redresser ; une fois le déficit budgétaire réduit et l’inflation maîtrisée, il sera possible d’assumer pleinement nos responsabilités et de déterminer la voie à suivre pour notre développement, mais en l’état actuel des choses, les options demeurent limitées.

Quelles conséquences peuvent découler de cette nouvelle notation ?

Cette récente notation constitue un signal très défavorable pour notre pays, dans la mesure où des difficultés liées au déficit budgétaire et à l’endettement étaient déjà présentes. Lorsqu’une agence de notation dégrade la note d’un pays, cela complique systématiquement l’accès à l’emprunt, dans la mesure où les marchés financiers se fondent sur cette évaluation pour déterminer des taux d’intérêt particulièrement élevés. Le système financier mondial constitue un véritable piège, et ces agences ont déjà été sanctionnées pour des pratiques contestables ; par conséquent, les pays en développement se doivent de faire preuve d’une extrême vigilance, car il s’agit d’un moyen de les contraindre à se conformer à leurs règles ou à subir d’éventuels troubles sociaux.

Que faire, du côté de l’Etat, pour trouver des marges de manœuvre ?

Étant donné que l’État a été pris au dépourvu par le régime précédent en ce qui concerne la dette cachée, il est essentiel de mener actuellement des négociations avec le FMI et d’accepter certaines conditions en vue de la signature d’un programme. Il est vrai que le FMI n’a pas pour vocation de promouvoir le développement d’un pays, néanmoins chaque État dépend du FMI, car c’est ainsi que fonctionne le monde et il ne nous est pas possible de réinventer la roue à l’heure actuelle. L’essentiel consiste à prendre en considération les populations, à négocier un programme, puis à assainir les finances publiques et à réduire le déficit budgétaire. Cette combinaison avec la mobilisation des ressources internes permettra au Sénégal de surmonter cette crise financière et de mettre en œuvre son programme. L’État sera en mesure d’effectuer un rebasing de son PIB tout en poursuivant son orientation vers le marché régional, bien que celui-ci soit moins rentable en termes de montants à mobiliser et de taux d’intérêt. Il est également envisageable de mobiliser des ressources internes au moyen des diaspora bonds.

Moody’s déclare qu’un programme avec le FMI est aujourd’hui crucial pour le Sénégal et que «plus ce soutien tarde, plus le risque d’une restructuration de la dette est élevé». Quel message lance-t-il ainsi aux gouvernants sénégalais ?

Moody’s s’efforce de maintenir une cohérence avec les évaluations antérieures et refuse de déroger à cette règle, d’autant plus que le Sénégal déploie des efforts sur plusieurs fronts. Par exemple, au Sénégal, dans le passé, les difficultés rencontrées pour conclure un accord avec le FMI étaient fréquemment attribuables à un déficit budgétaire particulièrement élevé, à des subventions considérables accordées aux entreprises publiques non productives, ainsi qu’à un manque de transparence dans la gestion des dépenses publiques. La dernière occasion où le Sénégal a rencontré des difficultés pour conclure un programme avec le FMI, le principal enjeu résidait dans le monopole exercé par la SENELEC, assorti de subventions s’élevant à 250 milliards de FCFA, ainsi que dans les 70 milliards de FCFA alloués à la SAR. Les subventions accordées à ces deux entreprises constituaient plus de 8 % du PIB, ce qui ne pouvait en aucun cas être soutenable. Durant cette période, la SENELEC subissait une perte mensuelle de 2,5 milliards de FCFA. Le FMI avait exigé une augmentation du tarif de l’électricité alors que celui-ci demeurait déjà le plus élevé de la région. À titre de solution, des représentants du ministère des Finances avaient informé le FMI que le gouvernement était en mesure de ne pas exclure la dette de la SENELEC ainsi que celle d’autres entreprises publiques des comptes publics ; toutefois, étant donné que ces dettes sont garanties par l’État, le FMI a exigé leur inclusion dans les comptes publics.

Le gouvernement est-il condamné à devoir décrocher un programme avec le FMI ?

Il serait souhaitable que le Sénégal conclut un accord avec le FMI, dans la mesure où le système financier mondial demeure un ensemble cohérent et qu’aucun pays ne peut s’y opposer sans en subir des conséquences préjudiciables. Le FMI intervient en tant qu’acteur d’urgence lorsqu’un pays est confronté à une crise financière caractérisée par une inflation élevée et un endettement excédant les seuils de soutenabilité. Étant donné que notre notation est en cours de dégradation, il nous sera impossible d’obtenir des financements sur les marchés internationaux à des conditions avantageuses. C’est précisément à ce moment que le FMI endosse le rôle de prêteur et, compte tenu de l’absence de véritables alternatives, son intervention vise à restaurer la confiance des marchés, cette dernière étant soumise à une conditionnalité, bien que fréquemment contestée.

Les autorités sénégalaises évoquent une notation «subjective et biaisée», et une «ligne de conduite douteuse de Moody’s». Comment jugez-vous cette réponse ?

Il s’agit d’une réaction parfaitement normale, dans la mesure où tout gouvernement aurait agi de façon identique. Ces agences sont rémunérées par certains États, entités ou institutions bancaires afin d’être en mesure d’établir des notations, tandis qu’elles procèdent gratuitement à ces évaluations pour d’autres pays, entreprises ou entités riches ou connues. Ces agences se sont établies à l’échelle mondiale, toutefois, elles ne devraient exercer aucune influence sur les modalités d’emprunt d’un État. Par le passé, ces agences ont posé des actes contraires à l’éthique ; toutefois, étant donné qu’il s’agit de lobbys, il n’est guère opportun d’engager un débat à ce sujet. Il convient plutôt de s’aligner afin de mobiliser des ressources internes suffisantes, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis du FMI et d’autres institutions.

Cette communication est-elle celle qui sied dans pareille situation ?

Le niveau le plus bas a été atteint, de sorte que, quelle que soit la discussion, cette notation ne pourra être modifiée. Il convient actuellement de se focaliser sur le plan de redressement et d’instaurer des mesures sociales afin de prévenir certains dysfonctionnements. Nous ne disposons pas de notre propre monnaie, ce qui implique une absence de souveraineté monétaire ; par ailleurs, nous sommes tenus de respecter des critères de convergence, et il nous sera difficile de procéder à une industrialisation aisée avec une monnaie plus forte que notre économie. Il conviendra de procéder par étapes, car le développement ne s’accomplit pas en dix ans, mais requiert une durée bien plus étendue.

 

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