La traque éperdue du bouc émissaire (par Adama Ndiaye)

 

Jeudi dernier, l’agence de notation Moody’s a porté un nouveau coup dur à la crédibilité financière du Sénégal en dégradant sa note souveraine de B3 à Caa1, avec une perspective négative. Dans son communiqué, Moody’s met en avant un risque croissant de restructuration de la dette, soulignant les vulnérabilités persistantes de la liquidité publique et un ratio dette/PIB qui frôle les 120 %. Ce n’est pas la première alerte de l’année – une précédente dégradation avait déjà eu lieu en février, suite aux révélations de la Cour des comptes. Les rendements des obligations sénégalaises en dollars ont aussitôt bondi, grimpant de 24 points de base à 13,15 % pour les maturités 2031, un signal clair des marchés qui s’inquiètent d’une trajectoire budgétaire intenable.

Cette dégringolade n’est que le dernier avatar d’une série noire qui mine l’économie sénégalaise depuis des mois. Tout a commencé avec la révélation, en septembre 2024, par le Premier ministre Ousmane Sonko, d’une dette cachée estimée à 7 milliards de dollars, dissimulée par l’ancien régime de Macky Sall. Ce scandale a provoqué un gel immédiat de la facilité de crédit triennale de 1,8 milliard de dollars accordée par le FMI, déclenchant une procédure de “misreporting” pour déclarations erronées sur les déficits et l’endettement de 2019 à 2023. Depuis, les négociations avec le Fonds monétaire international patinent lamentablement : malgré des discussions préliminaires à Dakar et une réunion informelle du conseil d’administration le 3 octobre, aucun accord n’émerge à l’horizon des assemblées annuelles à Washington (13-18 octobre). Le FMI attend toujours un inventaire complet et fiable de la dette, tandis que le déficit budgétaire avoisine les 14 % du PIB et que des projets phares, comme l’autoroute Mbour-Kaolack ou des programmes de forages, sont suspendus par manque de fonds. Ajoutez à cela les doutes récurrents des agences de notation et une dépendance accrue aux emprunts sur le marché régional, et vous obtenez un cocktail explosif qui hypothèque l’avenir du pays.

On comprendra sans peine que le gouvernement se sente sous pression, acculé par des marchés nerveux et des créanciers impatients. Mais la réponse qu’il apporte à cette tourmente est d’une maladresse consternante, révélant un manque criant de sérénité et une incapacité patente à forger des solutions concrètes. Au lieu d’assumer et de rectifier le tir, le FMI et les agences comme Moody’s sont dépeints en ennemis jurés du Sénégal, ourdissant on ne sait quel complot pour “mettre au pas” la nation. Pastef, ses ministres et ses chroniqueurs maison enfoncent le clou avec un ton qui fleure bon la paranoïa : Moody’s est accusée d’une évaluation “subjective et biaisée”, ignorant les fondamentaux économiques et les mesures de consolidation budgétaire en cours. On croirait voir ces lycéens du Bac, paresseux et lacunaires tout au long de l’année, sanctionnés à juste titre par les correcteurs, mais hurlant à l’injustice flagrante de l’examen lui-même. Une posture qui, loin de rassurer, ne fait qu’alimenter le scepticisme des investisseurs.

Ce qui rend cette attitude d’autant plus incompréhensible, c’est que l’actuel pouvoir porte une responsabilité minime dans ce naufrage. Il a hérité d’une bombe à retardement, fruit d’années de mauvaise gouvernance sous les précédents mandats, avec des comptes maquillés et une dette explosive qui gonfle comme une bulle. Le régime Faye-Sonko paie l’addition d’une opacité systémique, et non d’une incompétence propre.

Bien sûr, certains dans l’opposition – et au-delà – imputent au Premier ministre la faute originelle de cette révélation intempestive. “Sonko a flingué la réputation du pays pour régler des comptes politiques”, assène Fadel Barro, fondateur et ex-leader du mouvement Y’en a marre, dans un entretien accordé à Seneweb. Cette phrase lapidaire capture l’amertume d’une frange critique qui voit dans cette transparence brutale une vengeance mesquine contre Macky Sall, au détriment de l’image internationale du Sénégal.

Je n’ai pas le don de sondage des âmes pour percer les arrière-pensées du Premier ministre. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’un sursaut de vérité ne saurait être une faute en soi. Les audits successifs et les rapports du FMI valident d’ailleurs la justesse de Sonko sur ce point : les déficits étaient bel et bien sous-estimés, la dette sous-évaluée, et cette opacité a empoisonné les relations avec les bailleurs. Mieux vaut un électrochoc douloureux qu’une illusion qui explose plus tard, plus violemment.

Il reste que le Sénégal en subit aujourd’hui les contrecoups cuisants : marchés figés, négociations enlisées, coûts d’emprunt exorbitants. Mais au lieu de s’enliser dans une victimisation larmoyante, des gesticulations inutiles et la chasse aux boucs émissaires fantasmés, ce gouvernement se doit de passer à l’action. Il lui faudra rompre avec les simplismes éculés – ces vieilles rengaines idéologiques sur le franc CFA ou les “complots impérialistes” – pour adopter une approche pragmatique de l’économie. Assainir les comptes avec rigueur, prioriser les réformes structurelles pour relancer la croissance et l’emploi, négocier de bonne foi avec le FMI sans attaques ad hominem : voilà le chemin à tracer.

L’heure n’est plus à la logorrhée victimaire, mais à la refondation patiente.

 

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