
Il y a plus de 10 jours, un village malien situé à la frontière avec le Sénégal a été la cible d’une attaque terroriste. Les postes de police et de douane ont été pris pour cibles lors d’une opération coordonnée. Des véhicules et des motos ont été incendiés, et une personne a été tuée par balle. Plus à l’intérieur du territoire malien, d’autres attaques simultanées ont été perpétrées, causant plusieurs morts, principalement parmi les djihadistes. Les transporteurs, en première ligne puisqu’ils traversent régulièrement la frontière, vivent dans la peur et sont très stressés. – Par Abdoulaye FALL
Le temps passe, mais les inquiétudes ne s’apaisent pas. Les traces des attaques menées par des bandes armées à Diboli, Sanghé, Kayes et d’autres localités au Mali, le 1er juillet dernier, sont encore visibles. Plus d’une semaine après, les visages des populations restent marqués par l’inquiétude. Elles sont encore désemparées, stupéfaites. Aujourd’hui, elles ont besoin d’être rassurées et d’être mieux protégées.
Contraints de prendre la route passant par ces zones, les camionneurs, transporteurs et commerçants ont la peur au ventre. Mamory Konté, un chauffeur malien, qui se reposait à l’entrée de Tambacounda, exprime ses inquiétudes à l’approche de la frontière. «Je suis profondément attristé par la situation que nous vivons actuellement», dit-il.
Il explique : «Depuis ces attaques, nous avons très peur. La question qui me préoccupe maintenant, c’est comment rentrer au Mali en évitant une nouvelle attaque. Je transporte différentes marchandises à destination du Mali. Les propriétaires attendent leurs camions devant leurs magasins, mais je suis inquiet. Notre métier comporte des risques énormes. Nous devons emprunter cette route pour acheminer les marchandises. Les commerçants ne pensent qu’au profit, sans se rendre compte des dangers que nous courons face aux attaques des djihadistes, qui peuvent survenir à tout moment. C’est une situation infernale.»
Il ajoute : « C’est pourquoi la situation actuelle va augmenter le coût du transport. Nous ne voulons plus risquer nos vies pour rien. Entrer en territoire malien dans ces conditions est trop dangereux. Il faut augmenter les prix pour tenter le coup. »
En se préparant à repartir, il repense aux risques encourus, tout comme Djiby Diaw, un routier sénégalais. Assis à côté de son collègue malien, il paraît beaucoup plus serein. «Je n’ai aucune crainte pour aller décharger mes marchandises au Mali. On mourra tous un jour», relativise-t-il, fataliste.
Expérimenté, il sait gérer le stress et l’incertitude de cette traversée. «J’ai mon camion chargé à ras bord. Je suis à Tambacounda pour me reposer. J’y suis arrivé cette nuit. Je vais repartir vers 18h», confie-t-il.
À la question de savoir comment il compte se comporter une fois à la frontière, il répond sans hésitation : «Je conduis comme d’habitude. Certes, il y a eu des attaques sanglantes, mais les djihadistes semblent aujourd’hui affaiblis. Ils ont payé cher lors de ces attaques. Ils y réfléchiront à deux fois avant de se relancer. Les Forces armées maliennes (FAMA), elles, ont riposté avec détermination et rigueur, ce qui me rassure. C’est pour cela que je pense pouvoir faire le trajet malgré tout.»
Cependant, il reste persuadé que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour éliminer les risques. «Il faut renforcer la sécurité le long du tracé sénégalo-malien. Plus de checkpoints, répartis sur des distances courtes, contribueraient à dissuader les criminels. Nous demandons aussi aux autorités de fournir aux forces de défense et de sécurité les moyens nécessaires pour leur mission», affirme Djiby Diaw.
Après l’attaque du 1er juillet, certains ont pris des mesures pour se protéger. «De nombreux chauffeurs sénégalais ont décidé de suspendre leurs voyages vers le Mali jusqu’à nouvel ordre. Ils ont leurs raisons, moi je continue, mais la situation est inquiétante», reconnaît-il.
Abdou Karim Kébé, commerçant originaire de Diaobé et installé à Kidira, est encore fortement marqué par ces événements. «Nous saluons la réactivité de l’armée, mais elle doit être mieux équipée. On observe régulièrement des avions qui survolent nos localités. C’est sans doute l’armée qui mène des patrouilles aériennes, ce qui nous rassure quelque peu. Nous sommes installés à Kidira depuis des années, et nous développons un commerce florissant. Mais nous sommes très inquiets, surtout après avoir appris qu’il y a eu plusieurs attaques coordonnées. La proximité de Diboli rend la dangerosité encore plus palpable», confie-t-il.
Le représentant de l’Union des conducteurs routiers de l’Afrique de l’Ouest (Ucrao), Mamadou Kaïré, partage également ses préoccupations. Toutefois, il s’oppose à un boycott des transports. «Cela provoquerait un embouteillage massif dans le pays. Déjà, la circulation est souvent dense. Bloquer tous les camions serait impraticable», argue-t-il.
Il recommande aux conducteurs de revoir leurs horaires, notamment pour respecter le couvre-feu malien. «Il faut savoir où et quand s’arrêter, pour garantir la sécurité. Il serait également judicieux d’établir un contact téléphonique avec les postes de contrôle, pour pouvoir prévenir en cas d’attaque. Traverser la frontière en convoi accroît aussi la sécurité, car il est difficile d’attaquer plusieurs véhicules en même temps», précise-t-il.
Il appelle à continuer malgré tout, pour rassurer la population. «Malgré l’attaque sanglante, la vie doit continuer. Les gens ont besoin d’aller et venir, de vivre et d’échanger. Les autorités doivent renforcer les moyens des forces de sécurité. Les stigmates de ces attaques restent visibles, il est urgent d’accroître la sécurité», insiste Mamadou Kaïré.
Plus de dix jours après, la vie reprend timidement dans un climat encore anxiogène pour les routiers. Mais, comme toujours, les camions reprennent la route pour une traversée plus sûre.
Abdoulaye Fall /