[ENTRETIEN AVEC…] Aminata Diallo, vice président du Roao-Vbg “du couteau à la médaille, la nouvelle stratégie pour éradiquer l’excision en Afrique”

L’objectif du réseau ouest-africain des organisations et associations œuvrant contre les violences faites au genre (Roao-VBG) est d’éradiquer définitivement l’excision dans tous les pays d’Afrique. Lors de sa 4ème assemblée générale ordinaire tenue à Tambacounda, Aminata Diallo, Vice-Présidente du Roao-VBG, a confié à Tambacounda.info que la nouvelle stratégie repose essentiellement sur l’identification des anciennes praticiennes de l’excision. L’objectif est de les transformer en ambassadrices du réseau, afin qu’elles deviennent des porte-parole pour mieux transmettre le message de sensibilisation auprès des populations. La vice-présidente a indiqué que cette démarche vise à changer la perception, en passant « du couteau à la médaille », une métaphore illustrant le changement d’attitude qu’elles souhaitent promouvoir.

Tambacounda.info : Quelles sont les raisons de votre présence à Tambacounda cette année ?

Depuis la création du réseau, cinq ONG participent activement à ses activités. L’objectif principal est la reconversion des anciennes praticiennes de l’excision, que nous aspirons à transformer en ambassadrices du projet. Ces femmes auront pour mission de mener des activités éducatives et des séances de sensibilisation sur les pratiques d’excision et leurs conséquences, dans le but d’inciter les populations à abandonner définitivement cette pratique.

Vous savez, sans exciseuses, il n’y aurait plus d’excisées. Nous avons déjà organisé trois éditions dans différents pays, et cette année, c’est le Sénégal qui accueille les délégations. C’est pourquoi nous sommes présents à Tambacounda, car cette localité semble être la plus touchée par le phénomène par rapport aux zones plus reculées du pays.

Tambacounda.info : Le slogan de cette année est “Du couteau à la médaille”. Que signifie cette expression pour vous ?

“Du couteau à la médaille” porte toute une symbolique. Il s’agit de faire appel à une image forte : les femmes qui pratiquaient l’excision à l’aide de couteaux, de lames ou d’autres instruments doivent désormais se lever et, symboliquement, « jeter leurs armes » pour montrer qu’elles ont définitivement abandonné cette pratique.

Ce geste leur permet de devenir les ambassadrices du projet, porteuses du message du réseau, surtout dans les zones où nos membres n’ont pas facilement accès. Lors de la cérémonie à Tambacounda, plusieurs anciennes exciseuses ont été invitées à déposer publiquement leurs couteaux et autres matériels d’excision dans un récipient commun, symbolisant leur renoncement définitif.

Ce moment marque une étape cruciale dans nos activités au Sénégal, car il témoigne non seulement de leur volonté d’abandonner la pratique, mais aussi de leur reconnaissance des conséquences de l’excision sur la femme et la jeune fille. Leur acte de jeter les couteaux représente donc une véritable déclaration d’engagement à bannir définitivement cette pratique. C’est ainsi que nous avons choisi ce slogan, “Du couteau à la médaille”.

Tambacounda.info : Comment envisagez-vous de mener cette bataille et disposez-vous des moyens nécessaires pour appliquer votre politique ?

Vous avez raison, il s’agit effectivement d’une véritable bataille, celle pour l’éradication de l’excision. Au Burkina Faso, nous menons cette lutte depuis plus de trente ans. Pourtant, la pratique persiste encore de manière clandestine. C’est pourquoi notre réseau a décidé d’adopter une nouvelle approche. La stratégie consiste désormais à identifier les exciseuses, à les sensibiliser et à leur faire prendre conscience des conséquences néfastes de cette pratique. Par la suite, notre objectif est de transformer ces actrices en ambassadrices de notre cause.

Nous sommes convaincus que seules les ex-exciseuses peuvent réellement contribuer à l’éradication de cette pratique. Si celles qui la pratiquent décident de cesser, il n’y aura plus d’excision. Nous leur expliquons donc, étape par étape, les effets délétères de leur métier sur les jeunes filles. Lorsqu’elles prennent conscience de ces implications, il est certain qu’elles renonceront à cette pratique.

Depuis plusieurs années, nous menons aussi des plaidoyers et des campagnes de sensibilisation auprès des communautés. Aujourd’hui, notre démarche cible directement les principales actrices, à savoir les exciseuses.

Tambacounda.info : Qu’est-ce que le Safari au Burkina Faso ?

Au Burkina Faso, nous organisons ce que l’on appelle le « Safari ». Il s’agit de rencontres où sont invitées des femmes excisées. Lors de ces rencontres, elles expliquent en détail les méfaits de l’excision et partagent leur expérience personnelle des souffrances qu’elles endurent dans leurs foyers. C’est une approche communautaire qui montre de bons résultats.

Les femmes évoquent toutes les conséquences de cette pratique, sans détour, en racontant ouvertement les malheurs qu’elles ont subis. Certaines ont même avoué avoir dormi en dehors de leur chambre conjugale pour fuir leurs époux, en raison des douleurs atroces qu’elles ressentent lors des rapports sexuels, directement liées à l’excision.

Ces rencontres ont énormément contribué à la lutte contre cette pratique, car elles permettent aux femmes de réaliser les impacts délétères de l’excision et de prendre la décision de l’abandonner.

Il est important de noter que beaucoup de femmes pensent qu’une fois la blessure cicatrisée, tout est fini. Or, les traumatismes et les séquelles post-pratiques ne sont généralement pas expliqués. Avec les Safari, tous ces aspects sont abordés de manière franche et sans aucun filtre.

Tambacounda.info : Disposez-vous de soutiens financiers pour votre lutte ?

Pour faire face aux enjeux, nous comptons principalement sur nos propres moyens. Chaque année, toutes les organisations et associations membres contribuent par une cotisation forfaitaire au réseau. C’est notre premier soutien. Par ailleurs, certains partenaires croient en notre cause et nous soutiennent financièrement. Cependant, il faut reconnaître que ces partenaires se font de plus en plus rares.

Les États aussi ont un rôle à jouer. Ils ont déjà posé un acte fort en adoptant des lois qui sanctionnent la pratique de l’excision. Aujourd’hui, leur soutien financier devient crucial pour permettre au réseau de mieux remplir ses missions. Nous appelons à ce que l’État reconnaisse officiellement notre réseau en lui attribuant le statut d’Utilité Publique et lui accorde des subventions annuelles. Quoi qu’il en soit, nous restons engagés et prêts à continuer le combat, en attendant que d’autres partenaires se joignent à nous.

Notre souhait est que les États africains collaborent davantage pour éradiquer ce fléau. Nous croyons fermement que l’approche culturelle, notamment en impliquant d’anciennes exciseuses pour qu’elles deviennent des ambassadrices, est une stratégie efficace. La rencontre de Tambacounda a déjà donné des résultats significatifs, car de nombreuses anciennes exciseuses ont publiquement abandonné cette pratique, en jetant leurs outils et en promettant de ne plus jamais exciser. Ce fut un moment marquant ; à cette occasion, nous avons recueilli tous les instruments utilisés pour l’excision, que nous avons détruits en les cassant et en les enterrant pour symboliser la fin de cette pratique dans notre région.

Par Abdoulaye Fall /