Le projet de Code des investissements au Sénégal : équilibre fragile entre attractivité et souveraineté

 

 

Vouloir une chose et son contraire : telle est l’impression que laisse le projet de Code des investissements. La question centrale demeure celle de l’équilibre. Le texte, en l’état, soulève encore des zones d’ombre : s’agit-il d’un véritable cadre protecteur ou d’un appât destiné à attirer l’investissement direct étranger au Sénégal ?
Rappelons qu’en matière d’accueil de l’investissement international, une règle universelle s’impose comme corollaire de la souveraineté étatique : chaque Etat reste libre de déterminer les conditions d’accès des investisseurs étrangers à son territoire. Il peut subordonner cette entrée à des obligations diverses liées à ses objectifs de politique économique. Ce n’est qu’une fois ces obligations respectées que l’investisseur étranger peut prétendre à une égalité de traitement avec les acteurs nationaux (clauses prohibant la discrimination dans les traités bilatéraux d’investissement).
Le projet de code, comme indiqué dans son préambule, entend renforcer la protection des investisseurs étrangers en garantissant «une égalité de traitement entre l’investisseur national et l’investisseur étranger dans des circonstances analogues». Cette disposition devra toutefois cohabiter avec les lois sur le contenu local. Or, dans le cas du Sénégal, de nombreux textes continentaux ou régionaux encouragent, autorisent, voire imposent la mise en place de règles de contenu local pour maximiser les retombées de l’investissement direct étran­ger.
Parmi ces instruments, on peut citer le Code panafricain d’investissements (art.17), le Code minier de la Cedeao (art.11) ou encore le Protocole additionnel de la Cedeao sur l’investissement (art.9 et 24). Ce dernier illustre particulièrement la volonté de la communauté ouest-africaine de remodeler les règles internationales en matière d’investissement, puisqu’il oblige les Etats membres à aligner leurs Traités bilatéraux d’investissement (Tbi) sur ses dispositions. Appliqué strictement, il impose donc de renégocier tous les Tbi interdisant les mesures de contenu local.
Toutefois, le projet de loi sénégalais précise que l’Etat se réserve le droit, «dans des circonstances financières, économiques ou industrielles particulières», d’adopter «des mesures exceptionnelles d’exclusion des investisseurs nationaux ou étrangers de certains secteurs jugés stratégiques».
Cette clause, à mon avis, est source d’incertitude. Certes elle traduit une flexibilité légitime, permettant à l’Etat de protéger ses secteurs stratégiques (énergie, ressources naturelles, télécommunications, défense, etc.). Mais elle ouvre aussi la voie à une interprétation large et à des risques de décisions arbitraires. Or, les investisseurs étrangers redoutent particulièrement l’imprévisibilité des règles du jeu, d’où l’insertion fréquente de clauses de stabilité dans les Tbi.
Ainsi, si cette disposition est encadrée par des garde-fous (définition précise des secteurs stratégiques, procédure transparente, existence de voies de recours), elle peut être perçue comme un mécanisme équilibré de régulation. A l’inverse, si elle est laissée dans le flou, elle risque de nourrir un sentiment d’insécurité juridique, dissuasif pour les investisseurs, notamment dans les secteurs nécessitant de lourds capitaux.
El Hadji A. DIALLO
Représentant compagnies pétrolières dans le CN-ITIE